Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 19
– Oui ; mais, en attendant, il va s’ennuyer.
– Oh ! jamais.
– Il va questionner ?
– Il ne voit personne.
– Mais, enfin, il attend ou espère quelque chose ?
– Je lui ai donné un espoir que nous réaliserons quelque matin, et il vit là dessus.
– Lequel ?
– Celui d’être présenté au roi.
– Oh ! oh ! en quelle qualité ?
– D’ingénieur de Belle-Île, pardieu !
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– Est-ce possible ?
– C’est vrai.
– Certainement ; maintenant ne serait-il point nécessaire qu’il retournât à Belle-Île ?
– Indispensable ; je songe même à l’y envoyer le plus tôt possible. Porthos a beaucoup de représentation ; c’est un homme dont d’Artagnan, Athos et moi connaissons seuls le faible. Porthos ne se livre jamais ; il est plein de dignité ; devant les officiers, il fera l’effet d’un paladin du temps des croisades. Il grisera l’état-major sans se griser, et sera pour tout le monde un objet d’admiration et de sympathie ; puis, s’il arrivait que nous eussions un ordre à faire exécuter, Porthos est une consigne vivante, et il faudra toujours en passer par où il voudra.
– Donc, renvoyez-le.
– Aussi est-ce mon dessein, mais dans quelques jours seulement, car il faut que je vous dise une chose.
– Laquelle ?
– C’est que je me défie de d’Artagnan. Il n’est pas à Fontainebleau comme vous l’avez pu remarquer, et d’Artagnan n’est jamais absent ou oisif impunément. Aussi maintenant que mes affaires sont faites, je vais tâcher de savoir quelles sont les affaires que fait d’Artagnan.
– Vos affaires sont faites, dites-vous ?
– Oui.
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– Vous êtes bien heureux, en ce cas, et j’en voudrais pouvoir dire autant.
– J’espère que vous ne vous inquiétez plus ?
– Hum !
– Le roi vous reçoit à merveille.
– Oui.
– Et Colbert vous laisse en repos ?
– À peu près.
– En ce cas, dit Aramis avec cette suite d’idées qui faisait sa force, en ce cas, nous pouvons donc songer à ce que je vous disais hier à propos de la petite ?
– Quelle petite ?
– Vous avez déjà oublié ?
– Oui.
– À propos de La Vallière ?
– Ah ! c’est juste.
– Vous répugne-t-il donc de gagner cette fille ?
– Sur un seul point.
– Lequel ?
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– C’est que le cœur est intéressé autre part, et que je ne ressens absolument rien pour cette enfant.
– Oh ! oh ! dit Aramis ; occupé par le cœur, avez-vous dit ?
– Oui.
– Diable ! il faut prendre garde à cela.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il serait terrible d’être occupé par le cœur quand, ainsi que vous, on a tant besoin de sa tête.
– Vous avez raison. Aussi, vous le voyez, à votre premier appel j’ai tout quitté. Mais revenons à la petite. Quelle utilité voyez-vous à ce que je m’occupe d’elle ?