Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 95




– Votre Majesté a une mère, une sœur, des frères ; Votre Majesté est le chef de la famille, elle doit donc demander à Dieu une longue vie au lieu de lui demander une prompte mort. Votre Majesté est proscrite, fugitive, mais elle a son droit pour elle ; elle doit donc aspirer aux combats, aux dangers, aux affaires, et non pas au repos des cieux.


– Comte, dit Charles II avec un sourire d'indéfinissable tristesse, avez-vous entendu dire jamais qu'un roi ait reconquis son royaume avec un serviteur de l'âge de Parry et avec trois cents écus que ce serviteur porte dans sa bourse !


– Non, Sire ; mais j'ai entendu dire, et même plus d'une fois, qu'un roi détrôné reprit son royaume avec une volonté ferme, de la persévérance, des amis et un million de francs habilement employés.


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– Mais vous ne m'avez donc pas compris ? Ce million, je l'ai demandé à mon frère Louis ; qui me l'a refusé.


– Sire, dit Athos, Votre Majesté veut-elle m'accorder quelques minutes encore à écouter attentivement ce qui me reste à lui dire ?


Charles II regarda fixement Athos.


– Volontiers, monsieur, dit-il.


– Alors je vais montrer le chemin à Votre Majesté, reprit le comte en se dirigeant vers la maison.


Et il conduisit le roi vers son cabinet et le fit asseoir.


– Sire, dit-il, Votre Majesté m'a dit tout à l'heure qu'avec l'état des choses en Angleterre un million lui suffirait pour reconquérir son royaume ?


– Pour le tenter du moins, et pour mourir en roi si je ne réussissais pas.


– Eh bien ! Sire, que Votre Majesté, selon la promesse qu'elle m'a faite, veuille bien écouter ce qui me reste à lui dire.


Charles fit de la tête un signe d'assentiment Athos marcha droit à la porte, dont il ferma le verrou après avoir regardé si personne n'écoutait aux environs, et revint.


– Sire, dit-il, Votre Majesté a bien voulu se souvenir que j'avais prêté assistance au très noble et très malheureux Charles Ier, lorsque ses bourreaux le conduisirent de Saint-James à White Hall.


– Oui, certes, je me suis souvenu et me souviendrai toujours.


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– Sire, c'est une lugubre histoire à entendre pour un fils, qui sans doute se l'est déjà fait raconter bien des fois ; mais cependant je dois la redire à Votre Majesté sans en omettre un détail.


– Parlez, monsieur.


– Lorsque le roi votre père monta sur l'échafaud, ou plutôt passa de sa chambre à l'échafaud dressé hors de sa fenêtre, tout avait été pratiqué pour sa fuite. Le bourreau avait été écarté, un trou préparé sous le plancher de son appartement, enfin moi-même j'étais sous la voûte funèbre que j'entendis tout à coup craquer sous ses pas.