Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 94




– C'était en effet ma pensée, Sire, répliqua respectueusement le comte, je connais cet Italien de longue main.


– Alors j'ai résolu de pousser la chose à bout et de savoir tout de suite le dernier mot de ma destinée ; j'ai dit à mon frère Louis que, pour ne compromettre ni la France, ni la Hollande, je tenterais la fortune moi-même en personne, comme j'ai déjà fait, avec deux cents gentilshommes, s'il voulait me les donner, et un million, s'il voulait me le prêter.


– Eh bien ! Sire ?


– Eh bien ! monsieur, j'éprouve en ce moment quelque chose d'étrange, c'est la satisfaction du désespoir. Il y a dans certaines âmes, et je viens de m'apercevoir que la mienne est de ce nombre, une satisfaction réelle dans cette assurance que tout est perdu et que l'heure est enfin venue de succomber.


– Oh ! j'espère, dit Athos, que Votre Majesté n'en est point encore arrivée à cette extrémité.


– Pour me dire cela, monsieur le comte, pour essayer de raviver l'espoir dans mon cœur, il faut que vous n'ayez pas bien compris ce que je viens de vous dire. Je suis venu à Blois, comte, pour demander à mon frère Louis l'aumône d'un million avec lequel j'avais l'espérance de rétablir mes affaires, et mon frère Louis m'a refusé. Vous voyez donc bien que tout est perdu.


– Votre Majesté me permettra-t-elle de lui répondre par un avis contraire ?


– Comment, comte, vous me prenez pour un esprit vulgaire, à ce point que je ne sache pas envisager ma position ?


– Sire, j'ai toujours vu que c'était dans les positions désespérées qu'éclatent tout à coup les grands revirements de fortune.

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– Merci, comte, il est beau de retrouver des cœurs comme le vôtre, c'est-à-dire assez confiants en Dieu et dans la monarchie pour ne jamais désespérer d'une fortune royale, si bas qu'elle soit tombée.


« Malheureusement, vos paroles, cher comte, sont comme ces remèdes que l'on dit souverains et qui cependant, ne pouvant guérir que les plaies guérissables, échouent contre la mort ; Merci de votre persévérance à me consoler, comte ; merci de votre souvenir dévoué, mais je sais à quoi m'en tenir.


« Rien ne me sauvera maintenant. Et tenez, mon ami, j'étais si bien convaincu, que je prenais la route de l'exil avec mon vieux Parry ; je retournais savourer mes poignantes douleurs dans ce petit ermitage que m'offre la Hollande. Là, croyez-moi, comte, tout sera bientôt fini, et la mort viendra vite ; elle est appelée si souvent par ce corps que ronge l'âme et par cette âme qui aspire aux cieux !