Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 96




– Parry m'a raconté ces terribles détails, monsieur. Athos s'inclina et reprit :


– Voici ce qu'il n'a pu vous raconter, Sire, car ce qui suit, s'est passé entre Dieu, votre père et moi, et jamais la révélation n'en a été faite, même à mes plus chers amis :


« – Éloigne-toi, dit l'auguste patient au bourreau masqué, ce n'est que pour un instant, et je sais que je t'appartiens ; mais souviens-toi de ne frapper qu'à mon signal. Je veux faire librement ma prière.


– Pardon, dit Charles II en pâlissant ; mais vous, comte, qui savez tant de détails sur ce funeste événement, de détails qui, comme vous le disiez tout à l'heure, n'ont été révélés à personne, savez-vous le nom de ce bourreau infernal, de ce lâche, qui cacha son visage pour assassiner impunément un roi ?


Athos pâlit légèrement.


– Son nom ? dit-il ; oui, je le sais, mais je ne puis le dire.


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– Et ce qu'il est devenu ?… car personne en Angleterre n'a connu sa destinée.


– Il est mort.


– Mais pas mort dans son lit, pas mort d'une mort calme et douce, pas de la mort des honnêtes gens ?


– Il est mort de mort violente, dans une nuit terrible, entre la colère des hommes et la tempête de Dieu. Son corps percé d'un coup de poignard a roulé dans les profondeurs de l'océan. Dieu pardonne à son meurtrier !


– Alors, passons, dit le roi Charles II, qui vit que le comte n'en voulait pas dire davantage.


– Le roi d'Angleterre, après avoir, ainsi que j'ai dit, parlé au bourreau voilé, ajouta : « Tu ne me frapperas, entends-tu bien ? que lorsque je tendrai les bras en disant : Remember ! »


– En effet, dit Charles d'une voix sourde, je sais que c'est le dernier mot prononcé par mon malheureux père. Mais dans quel but, pour qui ?


– Pour le gentilhomme français placé sous son échafaud.


– Pour lors à vous, monsieur ?


– Oui, Sire, et chacune des paroles qu'il a dites, à travers les planches de l'échafaud recouvertes d'un drap noir, retentissent encore à mon oreille. Le roi mit donc un genou en terre.


« – Comte de La Fère, dit-il, êtes-vous là ?


« – Oui, Sire, répondis-je.

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« Alors le roi se pencha.


Charles II, lui aussi, tout palpitant d'intérêt, tout brûlant de douleur, se penchait vers Athos pour recueillir une à une les premières paroles que laisserait échapper le comte. Sa tête effleurait celle d'Athos.


– Alors, continua le comte, le roi se pencha.


« – Comte de La Fère, dit-il, je n'ai pu être sauvé par toi. Je ne devais pas l'être. Maintenant, dussé-je commettre un sacrilège, je te dirai : « Oui, j'ai parlé aux hommes ; oui, j'ai parlé à Dieu, et je te parle à toi le dernier. Pour soutenir une cause que j'ai crue sacrée, j'ai perdu le trône de mes pères et diverti l'héritage de mes enfants. »