Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 9




– Montalais ! Montalais ! on a des devoirs à remplir.


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– Vous en parlez bien à votre aise, mon cœur, vous qu'on laisse libre au milieu de cette cour. Vous êtes la seule qui en récoltiez les avantages sans en avoir les charges, vous plus fille d'honneur de Madame que moi-même, parce que Madame fait ricocher ses affections de votre beau-père à vous ; en sorte que vous entrez dans cette triste maison comme les oiseaux dans cette tour, humant l'air, becquetant les fleurs, picotant les graines, sans avoir le moindre service à faire, ni le moindre ennui à supporter. C'est vous qui me parlez de devoirs à remplir ! En vérité, ma belle paresseuse, quels sont vos devoirs à vous, sinon d'écrire à ce beau Raoul ? Encore voyons-nous que vous ne lui écrivez pas, de sorte que vous aussi, ce me semble, vous négligez un peu vos devoirs.


Louise prit son air sérieux, appuya son menton sur sa main, et d'un ton plein de candeur :


– Reprochez-moi donc mon bien-être, dit-elle. En aurez-vous le cœur ? Vous avez un avenir, vous ; vous êtes de la cour ; le roi, s’il se marie, appellera Monsieur près de lui ; vous verrez des fêtes splendides, vous verrez le roi, qu'on dit si beau, si charmant.


– Et de plus je verrai Raoul, qui est près de M. le prince, ajouta malignement Montalais.


– Pauvre Raoul ! soupira Louise.


– Voilà le moment de lui écrire, chère belle

; allons,

recommençons ce fameux Monsieur Raoul, qui brillait en tête de la feuille déchirée.


Alors elle lui tendit la plume, et, avec un sourire charmant, encouragea sa main, qui traça vite les mots désignés.


– Maintenant ? demanda la plus jeune des deux jeunes filles.


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– Maintenant, écrivez ce que vous pensez, Louise, répondit Montalais.


– Êtes-vous bien sûre que je pense quelque chose ?


– Vous pensez à quelqu'un, ce qui revient au même, ou plutôt ce qui est bien pis.


– Vous croyez, Montalais ?


– Louise, Louise, vos yeux bleus sont profonds comme la mer que j'ai vue à Boulogne l'an passé. Non, je me trompe, la mer est perfide, vos yeux sont profonds comme l'azur que voici là-haut, tenez, sur nos têtes.


– Eh bien ! puisque vous lisez si bien dans mes yeux, dites-moi ce que je pense, Montalais.


– D'abord, vous ne pensez pas Monsieur Raoul ; vous pensez Mon cher Raoul.


– Oh ! – Ne rougissez pas pour si peu. Mon cher Raoul, disons-nous, vous me suppliez de vous écrire à Paris, où vous retient le service de M. le prince. Comme il faut que vous vous ennuyiez là-