Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 10



bas pour chercher des distractions dans le souvenir d'une provinciale…


Louise se leva tout à coup.


– Non, Montalais, dit-elle en souriant, non, je ne pense pas un mot de cela. Tenez, voici ce que je pense.


Et elle prit hardiment la plume et traça d'une main ferme les mots suivants :


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« J'eusse été bien malheureuse si vos instances pour obtenir de moi un souvenir eussent été moins vives. Tout ici me parle de nos premières années, si vite écoulées, si doucement enfuies, que jamais d’autres n'en remplaceront le charme dans le cœur. »


Montalais, qui regardait courir la plume, et qui lisait au rebours à mesure que son amie écrivait, l'interrompit par un battement de mains.


– À la bonne heure ! dit-elle, voilà de la franchise, voilà du cœur, voilà du style ! Montrez à ces Parisiens, ma chère, que Blois est la ville du beau langage.


– Il sait que pour moi, répondit la jeune fille, Blois a été le paradis.


– C'est ce que je voulais dire, et vous parlez comme un ange.


– Je termine, Montalais.


Et la jeune fille continua en effet :


« Vous pensez à moi, dites-vous, monsieur Raoul ; je vous en remercie ; mais cela ne peut me surprendre, moi qui sais combien de fois nos cœurs ont battu l'un près de l'autre. »


– Oh ! oh ! dit Montalais, prenez garde, mon agneau, voilà que vous semez votre laine, et il y a des loups là-bas.


Louise allait répondre, quand le galop d'un cheval retentit sous le porche du château.


– Qu'est-ce que cela ? dit Montalais en s'approchant de la fenêtre. Un beau cavalier, ma foi !


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– Oh ! Raoul ! s'écria Louise, qui avait fait le même mouvement que son amie, et qui, devenant toute pâle, tomba palpitante auprès de sa lettre inachevée.


– Voilà un adroit amant, sur ma parole, s'écria Montalais, et qui arrive bien à propos !


– Retirez-vous, retirez-vous, je vous en supplie ! murmura Louise.


– Bah ! il ne me connaît pas ; laissez-moi donc voir ce qu'il vient faire ici.


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Chapitre II – Le messager


Mlle de Montalais avait raison, le jeune cavalier était bon à voir.


C'était un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, grand, élancé, portant avec grâce sur ses épaules le charmant costume militaire de l'époque. Ses grandes bottes à entonnoir enfermaient un pied que Mlle de Montalais n'eût pas désavoué si elle se fût travestie en homme. D'une de ses mains fines et nerveuses il arrêta son cheval au milieu de la cour, et de l'autre souleva le chapeau à longues plumes qui ombrageait sa physionomie grave et naïve à la fois.