Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 87
C'est pourtant ce qui fût certainement arrivé si j'avais fait ma femme de votre nièce. Je le comprends parfaitement, et désormais n'opposerai rien à l'accomplissement de ma destinée. Je suis donc prêt à épouser l'infante Marie-Thérèse. Vous pouvez fixer dès cet instant l'ouverture des conférences.
Votre affectionné, Louis. »
Le roi relut la lettre, puis il la scella lui-même.
– Cette lettre à M. le cardinal, dit-il.
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Le gentilhomme partit. À la porte de Mazarin, il rencontra Bernouin qui attendait avec anxiété.
– Eh bien ? demanda le valet de chambre du ministre.
– Monsieur, dit le gentilhomme, voici une lettre pour Son Éminence.
– Une lettre ! Ah ! nous nous y attendions, après le petit voyage de ce matin.
– Ah ! vous saviez que Sa Majesté…
– En qualité de Premier ministre, il est des devoirs de notre charge de tout savoir. Et Sa Majesté prie, supplie, je présume ?
– Je ne sais, mais il a soupiré bien des fois en l'écrivant.
– Oui, oui, oui, nous savons ce que cela veut dire. On soupire de bonheur comme de chagrin, monsieur.
– Cependant, le roi n'avait pas l'air fort heureux en revenant, monsieur.
– Vous n'aurez pas bien vu. D'ailleurs, vous n'avez vu Sa Majesté qu'au retour, puisqu'elle n'était accompagnée que de son seul lieutenant des gardes. Mais moi, j'avais le télescope de Son Éminence, et je regardais quand elle était fatiguée. Tous deux pleuraient, j'en suis sûr.
– Eh bien ! était-ce aussi de bonheur qu'ils pleuraient ?
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– Non, mais d'amour, et ils se juraient mille tendresses que le roi ne demande pas mieux que de tenir. Or, cette lettre est un commencement d'exécution.
– Et que pense Son Éminence de cet amour, qui, d'ailleurs, n'est un secret pour personne ?
Bernouin prit le bras du messager de Louis, et tout en montant l'escalier :
– Confidentiellement, répliqua-t-il à demi-voix, Son Éminence s'attend au succès de l'affaire. Je sais bien que nous aurons la guerre avec l'Espagne ; mais bah ! la guerre satisfera la noblesse.
M. le cardinal d’ailleurs dotera royalement, et même plus que royalement, sa nièce. Il y aura de l'argent, des fêtes et des coups ; tout le monde sera content.
– Eh bien ! à moi, répondit le gentilhomme en hochant la tête, il me semble que voici une lettre bien légère pour contenir tout cela.
– Ami, répondit Bernouin, je suis sûr de ce que je dis ; M. d'Artagnan m'a tout conté.
– Bon ! et qu'a-t-il dit ? voyons !
– Je l'ai abordé pour lui demander des nouvelles de la part du cardinal, sans découvrir nos desseins, bien entendu, car M. d'Artagnan est un fin limier.