Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 86




– C'est bien, monsieur, dit alors Louis XIV d'une voix brève ; vous désirez votre retraite ? vous l'aurez. Vous m'offrez votre démission du grade de lieutenant de mousquetaires ?


– Je la dépose bien humblement aux pieds de Votre Majesté, Sire.


– Il suffit. Je ferai ordonnancer votre pension.


– J'en aurai mille obligations à Votre Majesté.


– Monsieur, dit encore le roi en faisant un évident effort sur lui-même, je crois que vous perdez un bon maître.


– Et moi, j'en suis sûr, Sire.


– En retrouverez-vous jamais un pareil ?


– Oh ! Sire je sais bien que Votre Majesté est unique dans le monde ; aussi ne prendrai-je désormais plus de service chez aucun roi de la terre, et n'aurai plus d'autre maître que moi.


– Vous le dites ?


– Je le jure à Votre Majesté.


– Je retiens cette parole, monsieur.


D'Artagnan s'inclina.


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– Et vous savez que j'ai bonne mémoire, continua le roi.


– Oui, Sire, et cependant je désire que cette mémoire fasse défaut à cette heure à Votre Majesté, afin qu'elle oublie les misères que j’ai été forcé d'étaler à ses yeux. Sa Majesté est tellement au-dessus des pauvres et des petits, que j'espère…


– Ma Majesté, monsieur, fera comme le soleil, qui voit tout, grands et petits, riches et misérables, donnant le lustre aux uns, la chaleur aux autres, à tous la vie. Adieu, monsieur d'Artagnan, adieu, vous êtes libre.


Et le roi, avec un rauque sanglot qui se perdit dans sa gorge, passa rapidement dans la chambre voisine.


D'Artagnan reprit son chapeau sur la table où il l'avait jeté, et sortit.


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Chapitre XV – Le proscrit


D'Artagnan n'était pas au bas de l'escalier que le roi appela son gentilhomme.


– J'ai une commission à vous donner, monsieur, dit-il.


– Je suis aux ordres de Votre Majesté.


– Attendez alors.


Et le jeune roi se mit à écrire la lettre suivante, qui lui coûta plus d'un soupir, quoique en même temps quelque chose comme le sentiment du triomphe brillât dans ses yeux.


« Monsieur le cardinal, Grâce à vos bons conseils, et surtout grâce à votre fermeté, j'ai su vaincre et dompter une faiblesse indigne d'un roi. Vous avez trop habilement arrangé ma destinée pour que la reconnaissance ne m'arrête pas au moment de détruire votre ouvrage. J'ai compris que j'avais tort de vouloir faire dévier ma vie de la route que vous lui aviez tracée. Certes, il eût été malheureux pour la France, et malheureux pour ma famille, que la mésintelligence éclatât entre moi et mon ministre.