Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 16
Madame comprit les souffrances de ce cœur timide et ombrageux ; elle se leva de table, Monsieur l'imita machinalement, et tous les serviteurs, avec un bourdonnement semblable à celui des ruches, entourèrent Raoul pour le questionner.
Madame vit ce mouvement et appela M. de Saint-Remy.
– Ce n'est pas le moment de jaser, mais de travailler, dit-elle avec l'accent d'une ménagère qui se fâche.
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M. de Saint-Remy s'empressa de rompre le cercle formé par les officiers autour de Raoul, en sorte que celui-ci put gagner l'antichambre.
– On aura soin de ce gentilhomme, j'espère, ajouta Madame en s'adressant à M. de Saint-Remy.
Le bonhomme courut aussitôt derrière Raoul.
– Madame nous charge de vous faire rafraîchir ici, dit-il ; il y a en outre un logement au château pour vous.
– Merci, monsieur de Saint-Remy, répondit Bragelonne. Vous savez combien il me tarde d'aller présenter mes devoirs à M. le comte mon père.
– C'est vrai, c'est vrai, monsieur Raoul, présentez-lui en même temps mes bien humbles respects, je vous prie.
Raoul se débarrassa encore du vieux gentilhomme et continua son chemin.
Comme il passait sous le porche tenant son cheval par la bride, une petite voix l'appela du fond d'une allée obscure.
– Monsieur Raoul ! dit la voix.
Le jeune homme se retourna surpris, et vit une jeune fille brune qui appuyait un doigt sur ses lèvres et qui lui tendait la main. Cette jeune fille lui était inconnue.
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Chapitre III – L'entrevue
Raoul fit un pas vers la jeune fille qui l'appelait ainsi.
– Mais mon cheval, madame, dit-il.
– Vous voilà bien embarrassé ! Sortez ; il y a un hangar dans la première cour, attachez là votre cheval et venez vite.
– J'obéis, madame.
Raoul ne fut pas quatre minutes à faire ce qu'on lui avait recommandé ; il revint à la petite porte, où, dans l'obscurité, il revit sa conductrice mystérieuse qui l'attendait sur les premiers degrés d'un escalier tournant.
– Êtes-vous assez brave pour me suivre, monsieur le chevalier errant ? demanda la jeune fille en riant du moment d'hésitation qu'avait manifesté Raoul.
Celui-ci répondit en s'élançant derrière elle dans l'escalier sombre. Ils gravirent ainsi trois étages, lui derrière elle, effleurant de ses mains, lorsqu'il cherchait la rampe, une robe de soie qui frôlait aux deux parois de l'escalier. À chaque faux pas de Raoul, sa conductrice lui criait un chut ! sévère et lui tendait une main douce et parfumée.