Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 15
– Il n'est rien de plus gracieux pour nous, dit Madame, qui s'était consultée plus d'une fois pendant cette lecture dans les regards de son époux. Le roi ici ! s'écria-t-elle un peu plus haut peut-être qu'il n'eût fallu pour que le secret fût gardé.
– Monsieur, dit à son tour Son Altesse, prenant la parole, vous remercierez M. le prince de Condé, et vous lui exprimerez toute ma reconnaissance pour le plaisir qu'il me fait.
Raoul s'inclina.
– Quel jour arrive Sa Majesté ? continua le prince.
– Le roi, monseigneur, arrivera ce soir, selon toute probabilité.
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– Mais comment alors aurait-on su ma réponse, au cas où elle eût été négative ?
– J'avais mission, monseigneur, de retourner en toute hâte à Beaugency pour donner contrordre au courrier, qui fût lui-même retourné en arrière donner contrordre à M. le prince.
– Sa Majesté est donc à Orléans ?
– Plus près, monseigneur : Sa Majesté doit être arrivée à Meung en ce moment.
– La cour l'accompagne ?
– Oui, monseigneur.
– À propos, j'oubliais de vous demander des nouvelles de M. le cardinal.
– Son Éminence paraît jouir d'une bonne santé, monseigneur.
– Ses nièces l'accompagnent sans doute ?
– Non, monseigneur ; Son Éminence a ordonné à Mlles de Mancini de partir pour Brouage. Elles suivent la rive gauche de la Loire pendant que la cour vient par la rive droite.
– Quoi ! Mlle Marie de Mancini quitte aussi la cour ? demanda Monsieur, dont la réserve commençait à s'affaiblir.
– Mlle Marie de Mancini surtout, répondit discrètement Raoul.
Un sourire fugitif, vestige imperceptible de son ancien esprit d'intrigues brouillonnes, éclaira les joues pâles du prince.
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– Merci, monsieur de Bragelonne, dit alors Monsieur ; vous ne voudrez peut-être pas rendre à M. le prince la commission dont je voudrais vous charger, à savoir que son messager m'a été fort agréable ; mais je le lui dirai moi-même. Raoul s'inclina pour remercier Monsieur de l'honneur qu'il lui faisait.
Monseigneur fit un signe à Madame, qui frappa sur un timbre placé à sa droite.
Aussitôt M. de Saint-Remy entra, et la chambre se remplit de monde.
– Messieurs, dit le prince, Sa Majesté me fait l'honneur devenir passer un jour à Blois ; je compte que le roi, mon neveu, n'aura pas à se repentir de la faveur qu'il fait à ma maison.
– Vive le roi ! s'écrièrent avec un enthousiasme frénétique les officiers de service, et M. de Saint-Remy avant tous.
Gaston baissa la tête avec une sombre tristesse ; toute sa vie, il avait dû entendre ou plutôt subir ce cri de : « Vive le roi ! » qui passait au-dessus de lui. Depuis longtemps, ne l'entendant plus, il avait reposé son oreille, et voilà qu'une royauté plus jeune, plus vivace, plus brillante, surgissait devant lui comme une nouvelle, comme une plus douloureuse provocation.