Том 3. Публицистические произведения | страница 8



Ceci une fois reconnu, tout devient clair, tout s’explique: on comprend maintenant la véritable raison de ces rapides progrès, de ces prodigieux accroissements de la Russie, qui ont étonné le monde. On comprend que ces prétendues conquêtes, ces prétendues violences ont été l’œuvre la plus organique et la plus légitime que jamais l’histoire ait réalisée, c’était tout bonnement une immense restauration qui s’accomplissait. On comprendra aussi pourquoi on a vu successivement périr et s’éffacer sous sa main tout ce que la Russie a rencontré sur sa route de tendances anormales, de pouvoirs et d’institutions infidèles au grand principe qu’elle représentait… pourquoi la Pologne a dû périr… non pas l’originalité de sa race polonaise, à Dieu ne plaise, mais la fausse civilisation, la fausse nationalité, qui lui avaient été imputées. C’est aussi de ce point de vue que l’on appréciera le mieux la véritable signification de ce qu’on appelle la question de l’Orient, de cette question que l’on affecte de proclamer insoluble, précisément parce que tout le monde en a depuis longtemps prévu l’inévitable solution… Il s’agit en effet de savoir si l’Europe orientale, déjà aux trois quarts constituée, si ce véritable empire de l’Orient, dont le premier, celui des césars de Byzance, des anciens empereurs orthodoxes, n’avait été qu’une faible et imparfaite ébauche, si l’Europe orientale recevra ou non son dernier, son plus indispensable complément, si elle l’obtiendra par le progrès naturel des choses, ou si elle se verra forcée de le demander à la fortune par les armes, au risque des plus grandes calamités pour le monde. Mais revenons à notre sujet.

Voilà, monsieur, quel était le tiers dont l’arrivée sur le théâtre des événements a brusquement décidé le duel séculaire de l’Occident européen; la seule apparition de la Russie dans vos rangs y a ramené l’unité, et l’unité vous a donné la victoire.

Et maintenant, pour se rendre un compte vrai de la situation actuelle des choses, on ne saurait assez se pénétrer d’une vérité, c’est que depuis cette intervention de l’Orient constitué dans les affaires de l’Occident, tout est changé en Europe: jusque-là vous y étiez à deux, maintenant nous y sommes à trois. Les longues luttes y sont devenues impossibles.

De l’état actuel des choses peuvent sortir les trois combinaisons suivantes, les seules possibles désormais. L’Allemagne, alliée fidèle de la Russie, gardera sa prépondérance au centre de l’Europe; ou bien cette prépondérance passerait aux mains de la France. Or, savez-vous, monsieur, ce que serait pour vous la prépondérance aux mains de la France? Ce serait, sinon la mort subite, au moins dépérissement certain de l’Allemagne. Reste la troisième combinaison, celle qui sourirait peut-être le plus à certaines gens: l’Allemagne alliée à la France contre la Russie… Hélas, monsieur, cette combinaison a déjà été essayée en 1812 et, comme vous savez, elle a eu peu de succès. D’ailleurs je ne pense pas qu’après l’issue des trente années qui viennent de s’écouler, l’Allemagne fût d’humeur à accepter les conditions d’existence d’une nouvelle confédération du Rhin: car toute alliance intime avec la France ne peut jamais être que cela, pour l’Allemagne, et savez-vous, monsieur, ce que la Russie a entendu faire, lorsque, intervenant dans cette lutte engagée entre les deux principes, les deux grandes nationalités qui depuis des siècles se disputaient l’Occident européen, elle l’a décidée au profit de l’Allemagne, du principe germanique? Elle a voulu donner gain de cause une fois pour toutes au droit, à la légitimité historique, sur le procédé révolutionnaire. Et pourquoi a-t-elle voulu cela? Parce que le droit, la légitimité historique, c’est sa cause à elle, sa cause propre, la cause de bon avenir, c’est là le droit qu’elle réclame pour elle-même et pour les siens. Il n’y a que la plus aveugle ignorance, celle qui ferme volontairement les yeux à la lumière, qui puisse encore méconnaître cette grande vérité, car enfin n’est-ce pas au nom de ce droit, de cette légitimité historique, que la Russie a relevé toute une race, tout un monde de sa déchéance, qu’elle l’a appelé à vivre de sa vie propre, qu’elle lui a rendu son autonomie, qu’elle l’a constitué? Et c’est aussi au nom de ce même droit qu’elle saura bien empêcher que les faiseurs d’expériences politiques ne viennent arracher ou escamoter des populations entières à leur centre d’unité vivante, pour pouvoir ensuite plus aisément les tailler et les façonner comme des choses mortes, au gré de leurs mille fantaisies, qu’ils ne viennent en un mot détacher des membres vivants du corps auquel ils appartiennent, sous prétexte de leur assurer par là une plus grande liberté de mouvement…