Черная речка. До и после - К истории дуэли Пушкина | страница 66
Петербург, 8 декабря 1835.
XV
Pétersbourg, le 19 Décembre 1835
Je suis sûr, mon cher ami, que tu diras en recevant ma lettre qu'il vaut mieux tard que jamais et je l'aurai un peu mérité, car voilà déjà longtemps que je ne t'ai pas écrit de ces grandes lettres qui du reste (quoi que tu dises pour m'encourager) sont mal écrites et fort mal tournées, mais qui du moins ont le mérite de reproduire fidèlement tout ce que je ressens lorsque je pense à toi. Nous avons eu une quantité d'exercices et de répétitions de parades pour une bande d'autrichiens auxquels les manœuvres de Kaliche n'ont pas suffi et qui viennent encore à Pétersbourg pour nous regarder comme des bêtes curieuses et pour attraper des cordons; et puis j'avoue que les plaisirs ont aussi été un peu cause de ma paresse; le jour exercice, la nuit bal, de sorte que j'ai passé ces quinze jours à dormir chaque fois que je ne faisais ni l'un ni l'autre. Ne me gronde pas par ta prochaine lettre de m'être un peu trop amusé, mais maintenant que tout est fini, je te dirai qu'il m'a bien fallu rattraper un peu le temps perdu, car je suis resté deux mortels mois dans ma chambre à me soigner et à avaler des drogues, chose qui [n'] est nullement divertissante. Aussi maintenant Dieu merci je ne souffre plus du tout, il est vrai que je suis couvert de flanelle comme une femme qui relève de couches, mais ceci a le double avantage de me tenir chaud, puis de remplir le vide de mes habits qui sont devenus comme des sacs car j'ai maigri d'une manière extraordinaire; j'espère que tu dois être content, je ne ménage pas les détails. Je vais aussi te donner un aperçu de ma manière de vivre; je dîne tous les jours à la maison, mon domestique s'est arrangé avec le cuisinier de Panine qui me fournit déjeuner et dîner, très bons et très copieux, pour 6 roubles par jour, et moi je suis persuadé que c'est le peu de variété dans ma cuisine qui me fait beaucoup de bien, car mes maux d'estomac ont presque totalement disparu. J'ai été excessivement content de mon domestique pendant ma maladie. Il a eu le plus grand soin de moi, et je me le crois sérieusement attaché, mais il est d'une bêtise et d'un entêtement quelquefois révoltant; ce qui compense encore ces deux défauts c'est qu'il est parfait honnête homme, et ces hommes-là sont rares à Pétersbourg.
Voilà pour l'homme qui me sert, je vais maintenant te parler de mes chevaux dont je suis aussi très content quoiqu'ils me donnent beaucoup de tracas. Au commencement de notre rentrée en ville il m'a été impossible de trouver une seule écurie dans toute la Perspective, si ce n'est une excessivement loin de chez moi et pour laquelle on demandait 30 roubles par mois et 6 mois d'avance, et le cocher devait coucher à l'écurie. Tu penses bien que je n'ai pas accepté le marché, sur ces entrefaites, heureusement pour moi, il crève deux chevaux à Engelgart, qui demeure maintenant dans la maison Démidoff: il m'a offert les places qu'il avait vidées, ce qui m'a beaucoup arrangé; mais maintenant je suis de nouveau sur le pavé avec mon équipage, comment trouves-tu le calembour?, car il a fait venir des chevaux de l'intérieur. Cependant mon Antoine m'a annoncé ce matin qu'il était en négociation avec un tailleur, pour avoir son écurie, qui me la cédera, je crois, à un prix très raisonnable.