Réflexions ou sentences et maximes morales | страница 32
Ceux qui voudraient définir la victoire par sa naissance seraient tentés comme les poètes de l’appeler la fille du Ciel, puisqu’on ne trouve point son origine sur la terre. En effet elle est produite par infinité d’actions qui, au lieu de l’avoir pour but, regardent seulement les intérêts particuliers de ceux qui les font, puisque tous ceux qui composent une armée, allant à leur propre gloire et à leur élévation, procurent un bien si grand et si général.
On ne peut répondre de son courage quand on n’a jamais été dans le péril.
L’imitation est toujours malheureuse, et tout ce qui est contrefait déplaît avec les mêmes choses qui charment lorsqu’elles sont naturelles.
Il est bien malaisé de distinguer la bonté générale, et répandue sur tout le monde, de la grande habileté.
Pour pouvoir être toujours bon, il faut que les autres croient qu’ils ne peuvent jamais nous être impunément méchants.
La confiance de plaire est souvent un moyen de déplaire infailliblement.
La confiance que l’on a en soi fait naître la plus grande partie de celle que l’on a aux autres.
Il y a une révolution générale qui change le goût des esprits, aussi bien que les fortunes du monde.
La vérité est le fondement et la raison de la perfection, et de la beauté; une chose, de quelque nature qu’elle soit, ne saurait être belle, et parfaite, si elle n’est véritablement tout ce qu’elle doit être, et si elle n’a tout ce qu’elle doit avoir.
Il y a de belles choses qui ont plus d’éclat quand elles demeurent imparfaites que quand elles sont trop achevées.
La magnanimité est un noble effort de l’orgueil par lequel il rend l’homme maître de lui-même pour le rendre maître de toutes choses.
Le luxe et la trop grande politesse dans les États sont le présage assuré de leur décadence parce que, tous les particuliers s’attachant à leurs intérêts propres, ils se détournent du bien public.
Rien ne prouve tant que les philosophes ne sont pas si persuadés qu’ils disent que la mort n’est pas un mal, que le tourment qu’ils se donnent pour établir l’immortalité de leur nom par la perte de la vie.
De toutes les passions celle qui est plus inconnue à nous-mêmes, c’est la paresse; elle est la plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible, et que les dommages qu’elle cause soient très cachés; si nous considérons attentivement son pouvoir, nous verrons qu’elle se rend en toutes rencontres maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts et de nos plaisirs; c’est la rémore qui a la force d’arrêter les plus grands vaisseaux, c’est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils, et que les plus grandes tempêtes; le repos de la paresse est un charme secret de l’âme qui suspend soudainement les plus ardentes poursuites et les plus opiniâtres résolutions; pour donner enfin la véritable idée de cette passion, il faut dire que la paresse est comme une béatitude de l’âme, qui la console de toutes ses pertes, et qui lui tient lieu de tous les biens.