Дневник | страница 49
Tout a coup cette annee au mois de Fevrier maman entre dans ma chambre et me dit que notre ancienne connaissance et actuellement notre pauvre emigre Alfred etait arrive et qu'il devait revenir dans notre maison. J'en fus toute joyeuse, mais je passai trois jours sans le voir car je relevais de maladie et n'osais quitter ma chambre. Enfin nous nous revimes et bientot notre connaissance fut intime. Le caractere d'Alfred est compris dans un seul mot, mais ce mot dit tout, il peint l'homme, son caractere -- c'est la noblesse. Alfred est noble dans ses sentimens, dans ses actions, dans sa personne. Je le revis, je le connus non plus comme une etourdie de 19 ans qui entouree du prestige du monde ne voyait en lui peut-etre qu'un admirateur de plus. Non, je le revis avec la raison d'une fille de 23 ans, je le compris dans son malheur, je m'en suis fait un ami pour la vie, je le crois, j'en suis sure. Je le vis et je dis a mon coeur: "Arme-toi de courage, Alfred est dangereux pour toi". Oui, il l'etait, mais mon coeur habitue a se vaincre a su mettre entre lui et moi la barriere du devoir et je fus pour Alfred ce qu'il fut pour moi -- son Amie.
Trois semaines passerent non comme un songe. Ce serait, helas, trop romanesque et le style de l'amitie doit etre plus pose, plus severe; ces trois semaines passerent, helas, (oh, ma raison, pardonne) bien vite et le jour de son depart fut fixe au vendredi du carnaval la nuit. Lui-meme il croyait ne pas partir aussi vite, il esperait vivre avec nous et les larmes lui venaient aux yeux lorsqu'il pensait a son depart. Mais enfin ce jour arriva. Mon frere Pierre et sa femme donnaient ce jour-la une soiree. Ils demeuraient dans la meme maison que nous, la maison gagarinienne. Ils la leur donnaient dans la Millionnaia. Avant de traverser la cour pour aller chez lui, Alfred nous presenta le fameux Vendeen La Roche-Jaquelin, un ultra enrage. Ce meme soir il avait reeu une lettre de son frere dont le contenu l'encouragea un peu. En sortant de la chambre pour partir Alfred me suivait. Je me retournai et lui dis: "Lorsque vous partirez, Monsieur Alfred, je vous benirai, car tous ceux que j'ai beni sont restes saint et sauf a la guerre et partout". "Alors, -- dit-il en se mettant sur un genou, -- il faudra la recevoir ainsi". "Oh, non, non, -- dis-je en rougissant, -- pas tant d'humilite".
La soiree chez ma belle soeur fut tres agreable, nous jouames aux charades, dans celle de "mariage". Alfred fit la jeune mariee et Kriloff le jeune epoux. Le premer avait releve les manches de sa chemise, il avait une robe et un chale drape et sur la tete une couronne de fleurs d'orange, contraste singulier avec les grands favoris et son espece de barbe. Il nous faisait mourir de rire avec son air modeste, mais ce qui nous etonna c'est les bras qui etaient blancs comme ceux d'une femme.