Vingt mille lieues sous les mers | страница 123
Je veux parler de l’arbre à pain, très abondant dans l’île Gueboroar, et j’y remarquai principalement cette variété dépourvue de graines, qui porte en malais le nom de « Rima ».
Cet arbre se distinguait des autres arbres par un tronc droit et haut de quarante pieds. Sa cime, gracieusement arrondie et formée de grandes feuilles multilobées, désignait suffisamment aux yeux d’un naturaliste cet « artocarpus » qui a été très heureusement naturalisé aux îles Mascareignes. De sa masse de verdure se détachaient de gros fruits globuleux, larges d’un décimètre, et pourvus extérieurement de rugosités qui prenaient une disposition hexagonale. Utile végétal dont la nature a gratifié les régions auxquelles le blé manque, et qui, sans exiger aucune culture, donne des fruits pendant huit mois de l’année.
Ned Land les connaissait bien, ces fruits. Il en avait déjà mangé pendant ses nombreux voyages, et il savait préparer leur substance comestible. Aussi leur vue excita-t-elle ses désirs, et il n’y put tenir plus longtemps.
« Monsieur, me dit-il, que je meure si je ne goûte pas un peu de cette pâte de l’arbre à pain !
– Goûtez, ami Ned, goûtez à votre aise. Nous sommes ici pour faire des expériences, faisons-les.
– Ce ne sera pas long », répondit le Canadien.
Et, armé d’une lentille, il alluma un feu de bois mort qui pétilla joyeusement. Pendant ce temps, Conseil et moi, nous choisissions les meilleurs fruits de l’arto-carpus. Quelques-uns n’avaient pas encore atteint un degré suffisant de maturité, et leur peau épaisse recouvrait une pulpe blanche, mais peu fibreuse. D’autres, en très grand nombre, jaunâtres et gélatineux, n’attendaient que le moment d’être cueillis.
Ces fruits ne renfermaient aucun noyau. Conseil en apporta une douzaine à Ned Land, qui les plaça sur un feu de charbons, après les avoir coupés en tranches épaisses, et ce faisant, il répétait toujours :
« Vous verrez, monsieur, comme ce pain est bon.
– Surtout quand on en est privé depuis longtemps, dit Conseil.
– Ce n’est même plus du pain, ajouta le Canadien. C’est une pâtisserie délicate. Vous n’en avez jamais mangé, monsieur ?
– Non, Ned.
– Eh bien ! préparez-vous à absorber une chose succulente. Si vous n’y revenez pas, je ne suis plus le roi des harponneurs ! »
Au bout de quelques minutes, la partie des fruits exposée au feu fut complètement charbonnée. À l’intérieur apparaissait une pâte blanche, sorte de mie tendre, dont la saveur rappelait celle de l’artichaut.