Vingt mille lieues sous les mers | страница 122



Mais, sans remarquer tous ces beaux échantillons de la flore papouasienne, le Canadien abandonna l’agréable pour l’utile. Il aperçut un cocotier, abattit quelques-uns de ses fruits, les brisa, et nous bûmes leur lait, nous mangeâmes leur amandes avec une satisfaction qui protestait contre l’ordinaire du Nautilus.

« Excellent ! disait Ned Land.

– Exquis ! répondait Conseil.

– Et je ne pense pas, dit le Canadien, que votre Nemo s’oppose à ce que nous introduisions une cargaison de cocos à son bord ?

– Je ne le crois pas, répondis-je, mais il n’y voudra pas goûter !

– Tant pis pour lui ! dit Conseil.

– Et tant mieux pour nous ! riposta Ned Land. Il en restera davantage.

– Un mot seulement, maître Land, dis-je au harponneur qui se disposait à ravager un autre cocotier, le coco est une bonne chose, mais avant d’en remplir le canot, il me paraît sage de reconnaître si l’île ne produit pas quelque substance non moins utile. Des légumes frais seraient bien reçus à l’office du Nautilus.

– Monsieur a raison, répondit Conseil, et je propose de réserver trois places dans notre embarcation, l’une pour les fruits, l’autre pour les légumes, et la troisième pour la venaison, dont je n’ai pas encore entrevu le plus mince échantillon.

– Conseil, il ne faut désespérer de rien, répondit le Canadien.

– Continuons donc notre excursion, repris-je, mais ayons l’œil aux aguets. Quoique l’île paraisse inhabitée, elle pourrait renfermer, cependant, quelques individus qui seraient moins difficiles que nous sur la nature du gibier !

– Hé ! hé ! fit Ned Land, avec un mouvement de mâchoire très significatif.

– Eh bien ! Ned ! s’écria Conseil.

– Ma foi, riposta le Canadien, je commence à comprendre les charmes de l’anthropophagie !

– Ned ! Ned ! que dites-vous là ! répliqua Conseil. Vous, anthropophage ! Mais je ne serai plus en sûreté près de vous, moi qui partage votre cabine ! Devrai-je donc me réveiller un jour à demi dévoré ?

– Ami Conseil, je vous aime beaucoup, mais pas assez pour vous manger sans nécessité.

– Je ne m’y fie pas, répondit Conseil. En chasse ! Il faut absolument abattre quelque gibier pour satisfaire ce cannibale, ou bien, l’un de ces matins, monsieur ne trouvera plus que des morceaux de domestique pour le servir. »

Tandis que s’échangeaient ces divers propos, nous pénétrions sous les sombres voûtes de la forêt, et pendant deux heures, nous la parcourûmes en tous sens.

Le hasard servit à souhait cette recherche de végétaux comestibles, et l’un des plus utiles produits des zones tropicales nous fournit un aliment précieux qui manquait à bord.