Vingt mille lieues sous les mers | страница 121



Ned Land ne pouvait contenir sa joie. C’était un prisonnier échappé de sa prison, et il ne songeait guère qu’il lui faudrait y rentrer.

« De la viande ! répétait-il, nous allons donc manger de la viande, et quelle viande ! Du véritable gibier ! Pas de pain, par exemple ! Je ne dis pas que le poisson ne soit une bonne chose, mais il ne faut pas en abuser, et un morceau de fraîche venaison, grillé sur des charbons ardents, variera agréablement notre ordinaire :

– Gourmand ! répondait Conseil, il m’en fait venir l’eau à la bouche.

– Il reste à savoir, dis-je, si ces forêts sont giboyeuses, et si le gibier n’y est pas de telle taille qu’il puisse lui-même chasser le chasseur.

– Bon ! monsieur Aronnax, répondit le Canadien, dont les dents semblaient être affûtées comme un tranchant de hache, mais je mangerai du tigre, de l’aloyau de tigre, s’il n’y a pas d’autre quadrupède dans cette île.

– L’ami Ned est inquiétant, répondit Conseil.

– Quel qu’il soit, reprit Ned Land, tout animal à quatre pattes sans plumes, ou à deux pattes avec plumes, sera salué de mon premier coup de fusil.

– Bon ! répondis-je, voilà les imprudences de maître Land qui vont recommencer !

– N’ayez pas peur, monsieur Aronnax, répondit le Canadien, et nagez ferme ! Je ne demande pas vingt-cinq minutes pour vous offrir un mets de ma façon. »

À huit heures et demie, le canot du Nautilus venait s’échouer doucement sur une grève de sable, après avoir heureusement franchi l’anneau coralligène qui entourait l’île de Gueboroar.


XXI

Quelques jours à terre

Je fus assez vivement impressionné en touchant terre. Ned Land essayait le sol du pied, comme pour en prendre possession. Il n’y avait pourtant que deux mois que nous étions, suivant l’expression du capitaine Nemo, les « passagers du Nautilus », c’est-à-dire, en réalité, les Prisonniers de son commandant.

En quelques minutes, nous fûmes à une portée de fusil de la côte. Le sol était presque entièrement madréporique, mais certains lits de torrents desséchés, semés de débris granitiques, démontraient que cette île était due à une formation primordiale. Tout l’horizon se cachait derrière un rideau de forêts admirables. Des arbres énormes, dont la taille atteignait parfois deux cents pieds, se reliaient l’un à l’autre par des guirlandes de lianes, vrais hamacs naturels que berçait une brise légère. C’étaient des mimosas, des ficus, des casuarinas, des teks, des hibiscus, des pendanus, des palmiers, mélangés à profusion, et sous l’abri de leur Voûte verdoyante, au pied de leur stipe gigantesque, croissaient des orchidées, des légumineuses et des fougères.