Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 97
Remy rejoignit Diane.
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– Que vous disait-il ? demanda la jeune femme.
– Il exprimait son désir ordinaire.
– Celui de me voir ?
– Oui.
Diane sourit sous son masque.
– Prenez garde, dit Remy, il est furieux.
– Il ne me verra pas. Je ne le veux pas, et c’est te dire qu’il n’y pourra rien.
– Mais une fois que vous serez à Château-Thierry, ne faudra-t-il point qu’il vous voie à visage découvert ?
– Qu’importe, si la découverte arrive trop tard pour eux ?
D’ailleurs le maître ne m’a point reconnue.
– Oui, mais le valet vous reconnaîtra.
– Tu vois que jusqu’à présent ni ma voix ni ma démarche ne l’ont frappé.
– N’importe, madame, dit Remy, tous ces mystères qui existent depuis huit jours pour Aurilly, n’avaient point existé pour le prince, ils n’avaient point excité sa curiosité, point éveillé ses souvenirs, au lieu que, depuis huit jours, Aurilly cherche, calcule, suppute ; votre vue frappera une mémoire éveillée sur tous les points, il vous reconnaîtra s’il ne vous a pas reconnue.
En ce moment ils furent interrompus par Aurilly, qui avait pris un chemin de traverse et qui les ayant suivis sans les perdre
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de vue, apparaissait tout à coup dans l’espoir de saisir quelques mots de leur conversation.
Le silence soudain qui accueillit son arrivée lui prouva significativement qu’il gênait ; il se contenta donc de suivre par derrière comme il faisait quelquefois.
Dès ce moment, le projet d’Aurilly fut arrêté.
Il se défiait réellement de quelque chose, comme l’avait dit Remy ; seulement il se défiait instinctivement, car, pas un instant, son esprit, flottant de conjectures en conjectures, ne s’était arrêté à la réalité.
Il ne pouvait s’expliquer qu’on lui cachât avec tant d’acharnement ce visage que tôt ou tard il devait voir.
Pour mieux conduire son projet à sa fin, il sembla de ce moment y avoir complètement renoncé, et se montra le plus commode et le plus joyeux compagnon possible durant le reste de la journée.
Remy ne remarqua point ce changement sans inquiétude.
On arriva à une ville et l’on y coucha comme d’habitude.
Le lendemain, sous prétexte que la traite était longue, on partit avec le jour.
À midi, il fallut s’arrêter pour laisser reposer les chevaux.
À deux heures on se remit en route. On marcha encore jusqu’à quatre.
Une grande forêt se présentait dans le lointain : c’était celle de La Fère.
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Elle avait cet aspect sombre et mystérieux de nos forêts du Nord ; mais cet aspect si imposant pour les natures méridionales, à qui, avant toute chose, il faut la lumière du jour, et la chaleur du soleil, était impuissant sur Remy et sur Diane, habitués aux bois profonds de l’Anjou et de la Sologne.