Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 96




Cependant les jours s’écoulaient, on approchait du terme, et, grâce aux précautions de Remy et de sa maîtresse, la curiosité d’Aurilly avait été mise en défaut.


Déjà la Picardie apparaissait aux regards des voyageurs.


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Aurilly qui, depuis trois ou quatre jours, essayait de tout, de la bonne mine, de la bouderie, des petits soins, et presque des violences, commençait à perdre patience, et les mauvais instincts de sa nature prenaient peu à peu le dessus.


On eût dit qu’il comprenait que, sous le voile de cette femme, était caché un secret mortel.


Un jour il demeura un peu en arrière avec Remy, et renouvela sur lui ses tentatives de séduction, que Remy repoussa, comme d’habitude.


– Enfin, dit Aurilly, il faudra cependant bien qu’un jour ou l’autre je voie ta maîtresse.


– Sans doute, dit Remy, mais ce sera au jour qu’elle voudra, et non au jour que vous voudrez.


– Cependant si j’employais la force ? dit Aurilly.


Un éclair qu’il ne put retenir jaillit des yeux de Remy.


– Essayez ! dit-il.


Aurilly vit l’éclair, il comprit ce qui vivait d’énergie dans celui qu’il prenait pour un vieillard.


Il se mit à rire.


– Que je suis fou ! dit-il, et que m’importe qui elle est ?

C’est bien la même, n’est-ce pas, que M. le duc d’Anjou a vue ?


– Certes !


– Et qu’il m’a dit de lui amener à Château-Thierry ?


– Oui.


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– Eh bien, c’est tout ce qu’il me faut ; ce n’es pas moi qui suis amoureux d’elle, c’est monseigneur, et pourvu que vous ne cherchiez pas à fuir, à m’échapper…


– En avons-nous l’air ? dit Remy.


– Non.


– Nous en avons si peu l’air, et c’est si peu notre intention, que, n’y fussiez-vous pas, nous continuerions notre route pour Château-Thierry ; si le duc désire nous voir, nous désirons le voir aussi, nous.


– Alors, dit Aurilly, cela tombe à merveille.


Puis, comme s’il eût voulu s’assurer du désir réel qu’avaient Remy et sa compagne de ne pas changer de chemin :


– Votre maîtresse veut-elle s’arrêter ici quelques instants ?

dit-il.


Et il montrait une espèce d’hôtellerie sur la route.


– Vous savez, lui dit Remy, que ma maîtresse ne s’arrête que dans les villes.


– Je l’avais vu, dit Aurilly, mais je ne l’avais pas remarqué.


– C’est ainsi.


– Eh bien, moi qui n’ai pas fait de vœu, je m’arrête un instant ; continuez votre route, je vous rejoins.


Et Aurilly indiqua le chemin à Remy, descendit de cheval et s’approcha de l’hôte, qui vint au devant de lui avec de grands respects et comme s’il le connaissait.