Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 90




– Votre maître, M. le comte du Bouchage, n’est-ce pas ?


– Lui-même.


– Merci, monsieur.


Lorsqu’il eut refermé la porte, toutes les apparences du vieillard, excepté le front chauve et le visage ridé, disparurent à l’instant même, et il monta l’escalier avec une telle précipitation

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et une vigueur si extraordinaire, que l’on n’eût pas donné vingt-cinq ans à ce vieillard qui, un instant auparavant, en paraissait soixante.


– Madame ! madame ! s’écria Remy d’une voix altérée, dès qu’il aperçut Diane.


– Eh ! qu’y a-t-il encore, Remy ? le duc n’est-il point parti ?


– Si fait, madame ; mais il y a ici un démon mille fois pire, mille fois plus à craindre que lui ; un démon sur lequel tous les jours, depuis six ans, j’ai appelé la vengeance du ciel comme vous le faisiez pour son maître, et cela comme vous le faisiez aussi, en attendant la mienne.


– Aurilly, peut-être ? demanda Diane.


– Aurilly lui-même ; l’infâme est là, en bas, oublié comme un serpent hors du nid par son infernal complice.


– Oublié, dis-tu, Remy ! oh ! tu te trompes ; toi qui connais le duc, tu sais bien qu’il ne laisse point au hasard le soin de faire le mal, quand ce mal, il peut le faire lui-même ; non ! non !

Remy, Aurilly n’est point oublié ici, il y est laissé, et laissé pour un dessein quelconque, crois-moi.


– Oh ! sur lui, madame, je croirai tout ce que vous voudrez !


– Me connaît-il ?


– Je ne crois pas.


– Et t’a-t-il reconnu ?


– Oh ! moi, madame, répondit Remy avec un triste sourire, moi, l’on ne me reconnaît pas.


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– Il m’a devinée, peut-être ?


– Non, car il a demandé à vous voir.


– Remy, je te dis que, s’il ne m’a point reconnue, il me soupçonne.


– En ce cas, rien de plus simple, dit Remy d’un air sombre, et je remercie Dieu de nous tracer si franchement notre route ; le bourg est désert, l’infâme est seul, comme je suis seul… j’ai vu un poignard à sa ceinture… j’ai un couteau à la mienne.


– Un moment, Remy, un moment, dit Diane, je ne vous dispute pas la vie de ce misérable ; mais, avant de le tuer, il faut savoir ce qu’il nous veut, et si, dans la situation où nous sommes, il n’y a pas moyen d’utiliser le mal qu’il veut nous faire.

Comment s’est-il présenté à vous, Remy ?


– Comme l’intendant de M. du Bouchage, madame.


– Tu vois bien, il ment ; donc il a un intérêt à mentir.

Sachons ce qu’il veut, tout en lui cachant notre volonté à nous.


– J’agirai selon vos ordres, madame.


– Pour le moment, que demande-t-il ?