Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 78
Mais Henri n’avait point assez de défiance pour deviner de quoi il s’agissait : nul n’était assez son ami pour le lui dire en présence du duc.
D’ailleurs Aurilly faisait bonne garde, et le duc, qui sans aucun doute avait déjà à peu près arrêté son plan, retenait Henri près de sa personne, jusqu’à ce que tous les officiers présents à la conversation fussent éloignés.
Le duc avait fait quelques changements à la distribution des postes.
Ainsi, quand il était seul, Henri avait jugé à propos de se faire centre, puisqu’il était chef, et d’établir son quartier général dans la maison de Diane.
Puis, au poste le plus important après celui-là, et qui était celui de la rivière, il envoyait l’enseigne.
Le duc, devenu chef à la place de Henri, prenait la place de Henri, et envoyait Henri où celui-ci devait envoyer l’enseigne.
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Henri ne s’en étonna point. Le prince s’était aperçu que ce point était le plus important, et il le lui confiait : c’était chose toute naturelle, si naturelle, que tout le monde, et Henri le premier, se méprit à son intention.
Seulement il crut devoir faire une recommandation à l’enseigne des gendarmes, et s’approcha de lui. C’était tout naturel aussi qu’il mît sous sa protection les deux personnes sur lesquelles il veillait et qu’il allait être forcé, momentanément du moins, d’abandonner.
Mais, aux premiers mots que Henri tenta d’échanger avec l’enseigne, le duc intervint.
– Des secrets ! dit-il avec son sourire.
Le gendarme avait compris, mais trop tard, l’indiscrétion qu’il avait faite. Il se repentait, et, voulant venir en aide au comte :
– Non, monseigneur, répondit-il ; monsieur le comte me demande seulement combien il me reste de livres de poudre sèche et en état de servir.
Cette réponse avait deux buts, sinon deux résultats : le premier, de détourner les soupçons du duc s’il en avait ; le second, d’indiquer au comte qu’il avait un auxiliaire sur lequel il pouvait compter.
– Ah ! c’est différent, répondit le duc, forcé d’ajouter foi à ces paroles sous peine de compromettre par le rôle d’espion sa dignité de prince.
Puis, pendant que le duc se retournait vers la porte qu’on ouvrait :
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– Son Altesse sait que vous accompagnez quelqu’un, glissa tout bas l’enseigne à Henri.
Du Bouchage tressaillit ; mais il était trop tard. Ce tressaillement lui-même n’avait point échappé au duc, et, comme pour s’assurer par lui-même si les ordres avaient été exécutes partout, il proposa au comte de le conduire jusqu’à son poste, proposition que le comte fut bien forcé d’accepter.