Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 64




– Pas trop, mon frère, pas trop.


– Oh ! je ne parle que de la terre telle que Dieu l’a faite, et non des hommes qui, éternellement, gâtent l’œuvre de Dieu.

Comprenez-vous, Henri, quelle folie ce prince a faite ; quelle partie il a perdue ; comme l’orgueil et la précipitation l’ont ruiné vite, ce malheureux François. Dieu a son âme, n’en parlons plus ; mais, en vérité, il pouvait s’acquérir une gloire immortelle et l’un des beaux royaumes de l’Europe, tandis qu’il a fait les affaires de qui… de Guillaume le Sournois. Au reste, savez-vous, Henri, que les Anversois se sont bien battus ?


– Et vous aussi, à ce qu’on dit, mon frère.


– Oui, j’étais dans un de mes bons jours, et puis il y a une chose qui m’a excité.


– Laquelle ?


– C’est que j’ai rencontré, sur le champ de bataille, une épée de ma connaissance.


– Un Français ?


– Un Français.


– Dans les rangs des Flamands ?


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– À leur tête. Henri, voilà un secret qu’il faut savoir pour donner un pendant à l’écartèlement de Salcède en place de Grève.


– Enfin, cher seigneur, vous voici revenu sain et sauf, à ma grande joie ; mais, moi, je n’ai rien fait encore, il faut bien que je fasse quelque chose aussi.


– Et que voulez-vous faire ?


– Donnez-moi le commandement de vos éclaireurs, je vous prie.


– Non, c’est en vérité trop périlleux, Henri ; je ne vous dirais pas ce mot devant des étrangers ; mais je ne veux pas vous faire mourir d’une mort obscure, et par conséquent d’une laide mort. Les éclaireurs peuvent rencontrer un corps de ces vilains Flamands qui guerroient avec des fléaux et des faux : vous en tuez mille ; il en reste un, celui-là vous coupe en deux ou vous défigure. Non, Henri, non ; si vous tenez absolument à mourir, je vous réserve mieux que cela.


– Mon frère, accordez-moi ce que je vous demande, je vous prie ; je prendrai toutes les mesures de prudence, et je vous promets de revenir ici.


– Allons, je comprends !


– Que comprenez-vous ?


– Vous voulez essayer si le bruit de quelque action d’éclat n’amollira pas le cœur de la farouche. Avouez que c’est cela qui vous donne cette insistance.


– J’avouerai cela, si vous voulez, mon frère.


– Soit, vous avez raison. Les femmes qui résistent à un grand amour, se rendent parfois à un peu de bruit.

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– Je n’espère pas cela.


– Triple fou que vous êtes alors, si vous le faites sans cet espoir. Tenez, Henri, ne cherchez pas d’autre raison au refus de cette femme, sinon que c’est une capricieuse qui n’a ni cœur ni yeux.