Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 62
– Mais, monseigneur, répondit une voix, la cavalerie ne pourra marcher ; les chevaux n’ont point mangé depuis hier quatre heures, et les pauvres bêtes meurent de faim.
– Il y a du grain dans notre campement, dit l’enseigne ; mais comment ferons-nous pour les hommes ?
– Eh ! reprit l’amiral, s’il y a du grain, c’est tout ce que je demande : les hommes vivront comme les chevaux.
– Mon frère, interrompit Henri, tâchez, je vous prie, que je puisse vous parler un moment.
– Je vais aller occuper le bourg, répondit Joyeuse, choisissez-y un logement pour moi et m’y attendez.
Henri alla retrouver ses deux compagnons.
– Vous voilà au milieu d’une armée, dit-il à Remy ; croyez-moi, cachez-vous dans le logement que je vais prendre ; il ne
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convient point que madame soit vue de qui que ce soit. Ce soir, lorsque chacun dormira, j’aviserai à vous faire plus libres.
Remy s’installa donc avec Diane dans le logement que leur céda l’enseigne des gendarmes, redevenu, par l’arrivée de Joyeuse, simple officier aux ordres de l’amiral.
Vers deux heures, le duc de Joyeuse entra, trompettes sonnantes, dans le bourg, fit loger ses troupes, donna des consignes sévères pour que tout désordre fût évité.
Puis il fit faire une distribution d’orge aux hommes, d’avoine aux chevaux, et d’eau à tout le monde, distribua aux blessés quelques tonneaux de bière et de vin que l’on trouva dans les caves, et lui-même, à la vue de tous, dîna d’un morceau de pain noir et d’un verre d’eau, tout en parcourant les postes.
Partout il fut accueilli comme un sauveur, par des cris d’amour et de reconnaissance.
– Allons, allons, dit-il, au retour, en se retrouvant seul avec son frère, viennent les Flamands, et je les battrai ; et même, vrai Dieu ! si cela continue, je les mangerai, car j’ai grand’faim ; et, ajouta-t-il tout bas à Henri en jetant dans un coin son pain, dans lequel il avait paru mordre avec tant d’enthousiasme, voilà une exécrable nourriture.
Puis lui jetant le bras autour du cou :
– Ça, maintenant, ami, causons, et dis-moi comment tu te trouves en Flandre quand je te croyais à Paris.
– Mon frère, dit Henri à l’amiral, la vie m’était devenue insupportable à Paris, et je suis parti pour vous retrouver en Flandre.
– Toujours par amour ? demanda Joyeuse.
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– Non, par désespoir. Maintenant, je vous le jure, Anne, je ne suis plus amoureux ; ma passion, c’est la tristesse.
– Mon frère, mon frère, s’écria Joyeuse, permettez-moi de vous dire que vous êtes tombé sur une misérable femme.