Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 61
Les deux députés de ces deux tronçons du grand corps français poursuivirent courageusement leur chemin, et bientôt ils s’aperçurent que leur tâche était moins difficile qu’ils ne l’eussent pu craindre, et surtout qu’on ne le craignait pour eux.
Un large filet d’eau, qui s’échappait d’un aqueduc, crevé par le choc d’une poutre, sortait de dessous la fange et lavait, comme à dessein, la chaussée bourbeuse, découvrant sous son flot plus limpide le fond du fossé que cherchait l’ongle actif des chevaux.
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Déjà les cavaliers n’étaient plus qu’à deux cents pas l’un de l’autre.
– France ! cria le cavalier qui venait de la colline.
Et il leva son toquet, ombragé d’une plume blanche.
– Oh ! c’est vous ! s’écria Henri avec une grande exclamation de joie, vous, monseigneur ?
– Toi, Henri ! toi, mon frère ! s’écria l’autre cavalier.
Et au risque de dévier à droite ou à gauche, les deux chevaux partirent au galop, se dirigeant l’un vers l’autre ; et bientôt, aux acclamations frénétiques des spectateurs de la chaussée et de la colline, les deux cavaliers s’embrassèrent longuement et tendrement.
Aussitôt, le bourg et la colline se dégarnirent : gendarmes et chevau-légers, gentilshommes huguenots et catholiques, se précipitèrent dans le chemin ouvert par les deux frères.
Bientôt les deux camps s’étaient joints, les bras s’étaient ouverts, et sur le chemin où tous avaient cru trouver la mort, on voyait trois mille Français crier merci au ciel et vive la France !
– Messieurs, dit tout à coup la voix d’un officier huguenot, c’est vive M. l’amiral qu’il faut crier, car c’est à M. le duc de Joyeuse et non à un autre que nous devons la vie cette nuit, et ce matin le bonheur d’embrasser nos compatriotes.
Une immense acclamation accueillit ces paroles.
Les deux frères échangèrent quelques mots trempés de larmes ; puis le premier :
– Et le duc ? demanda Joyeuse à Henri.
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– Il est mort, à ce qu’il paraît, répondit celui-ci.
– La nouvelle est-elle sûre ?
– Les gendarmes d’Aunis ont vu son cheval noyé et l’ont reconnu à un signe. Ce cheval tirait encore à son étrier un cavalier dont la tête était enfoncée sous l’eau.
– Voilà un sombre jour pour la France, dit l’amiral.
Puis, se retournant vers ses gens :
– Allons, messieurs, dit-il à haute voix, ne perdons pas de temps. Une fois les eaux écoulées, nous serons attaqués très probablement ; retranchons-nous jusqu’à ce qu’il nous soit arrivé des nouvelles et des vivres.