Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 6
– Mais enfin, s’écria le prince, il faut que ma position se dessine dans le pays. Je suis duc de Brabant et comte de Flandre de nom. Il faut que je le sois aussi de fait. Ce Taciturne, qui se cache je ne sais où, m’a parlé d’une royauté. Où est-elle, cette royauté ? dans Anvers. Où est-il, lui ! dans Anvers aussi, probablement. Eh bien ! il faut prendre Anvers, et, Anvers pris, nous saurons à quoi nous en tenir.
– Eh ! monseigneur, vous le savez déjà, sur mon âme, ou vous seriez en vérité moins bon politique qu’on ne le dit. Qui vous a donné le conseil de prendre Anvers ? M. le prince d’Orange, qui a disparu au moment de se mettre en campagne ; M. le prince d’Orange, qui, tout en faisant Votre Altesse duc de Brabant, s’est réservé la lieutenance générale du duché ; le prince d’Orange, qui a intérêt à ruiner les Espagnols par vous et vous par les Espagnols ; M. le prince d’Orange, qui vous remplacera, qui vous succédera, s’il ne vous remplace et ne vous succède déjà ; le prince d’Orange… Eh ! monseigneur, jusqu’à présent en suivant les conseils du prince d’Orange, vous n’avez fait qu’indisposer les Flamands. Vienne un revers, et tous ceux qui n’osent vous regarder en face courront après vous comme ces chiens timides qui ne courent qu’après les fuyards.
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– Quoi ! vous supposez que je puisse être battu par des marchands de laine, par des buveurs de bière ?
– Ces marchands de laine, ces buveurs de bière ont donné fort à faire au roi Philippe de Valois, à l’empereur Charles V, et au roi Philippe II, qui étaient trois princes d’assez bonne maison, monseigneur, pour que la comparaison ne puisse pas vous être trop désagréable.
– Ainsi, vous craignez un échec ?
– Oui, monseigneur, je le crains.
– Vous ne serez donc pas là, monsieur de Joyeuse ?
– Pourquoi donc n’y serais-je point ?
– Parce que je m’étonne que vous doutiez à ce point de votre propre bravoure, que vous vous voyiez déjà en fuite devant les Flamands : en tout cas, rassurez-vous : ces prudents commerçants ont l’habitude, quand ils marchent au combat, de s’affubler de trop lourdes armures pour qu’ils aient la chance de vous atteindre, courussent-ils après vous.
– Monseigneur, je ne doute pas de mon courage ; monseigneur, je serai au premier rang, mais je serai battu au premier rang, tandis que d’autres le seront au dernier, voilà tout.
– Mais enfin votre raisonnement n’est pas logique, monsieur de Joyeuse : vous approuvez que j’aie pris les petites places.