Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 5




– Monsieur l’amiral, dit-il, qu’avez-vous ?


– Rien, monseigneur ; j’attends seulement que Votre Altesse ait le loisir de m’écouter.


– Mais j’écoute, monsieur de Joyeuse, j’écoute, répondit allègrement le duc. Ah ! vous autres Parisiens, vous me croyez donc bien épaissi par la guerre de Flandre, que vous pensez que je ne puis écouter deux personnes parlant ensemble, quand César dictait sept lettres à la fois !


– Monseigneur, répondit Joyeuse en lançant au pauvre musicien un coup d’œil sous lequel celui-ci plia avec son humilité ordinaire, je ne suis pas un chanteur pour avoir besoin que l’on m’accompagne quand je parle.


– Bon, bon, duc ; taisez-vous, Aurilly.


Aurilly s’inclina.


– Donc, continua François, vous n’approuvez pas mon coup de main sur Anvers, monsieur de Joyeuse ?

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– Non, monseigneur.


– J’ai adopté ce plan en conseil, cependant.


– Aussi, monseigneur, n’est-ce qu’avec une grande réserve que je prends la parole, après tant d’expérimentés capitaines.


Et Joyeuse, en homme de cour, salua autour de lui.


Plusieurs voix s’élevèrent pour affirmer au grand amiral que son avis était le leur.


D’autres, sans parler, firent des signes d’assentiment.


– Comte de Saint-Aignan, dit le prince à l’un de ses plus braves colonels, vous n’êtes pas de l’avis de M. de Joyeuse, vous ?


– Si fait, monseigneur, répondit M. de Saint-Aignan.


– Ah ! c’est que, comme vous faisiez la grimace…


Chacun se mit à rire. Joyeuse pâlit, le comte rougit.


– Si M. le comte de Saint-Aignan, dit Joyeuse, a l’habitude de donner son avis de cette façon, c’est un conseiller peu poli, voilà tout.


– Monsieur de Joyeuse, repartit vivement Saint-Aignan, Son Altesse a eu tort de me reprocher une infirmité contractée à son service ; j’ai, à la prise de Cateau-Cambrésis, reçu un coup de pique dans la tête, et, depuis ce temps j’ai des contractions nerveuses, ce qui occasionne les grimaces dont se plaint Son Altesse… Ce n’est pas, toutefois, une excuse que je vous donne, monsieur de Joyeuse, c’est une explication, dit fièrement le comte en se retournant.


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– Non, monsieur, dit Joyeuse en lui tendant la main, c’est un reproche que vous faites, et vous avez raison.


Le sang monta au visage du duc François.


– Et à qui ce reproche ? dit-il.


– Mais, à moi, probablement, monseigneur.


– Pourquoi Saint-Aignan vous ferait-il un reproche, monsieur de Joyeuse, à vous qu’il ne connaît pas ?


– Parce que j’ai pu croire un instant que M. de Saint-Aignan aimait assez peu Votre Altesse pour lui donner le conseil de prendre Anvers.