Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 49
– Plus vite, madame ! par grâce, plus vite ! l’eau s’avance, l’eau accourt ! la voici !
Elle arrivait, en effet, écumeuse, tourbillonnante, irritée ; elle emporta comme une plume la maison dans laquelle Remy avait abrité sa maîtresse ; elle souleva comme une paille la barque attachée aux rives du ruisseau, et majestueuse, immense, roulant ses anneaux comme ceux d’un serpent, elle arriva, pareille à un mur, derrière les chevaux de Remy et de l’inconnue.
Henri jeta un cri d’épouvante et revint sur l’eau, comme s’il eût voulu la combattre.
– Mais vous voyez bien que vous êtes perdue ! hurla-t-il, désespéré. Allons, madame, il est encore temps peut-être, descendez, venez avec moi, venez !
– Non, monsieur, dit-elle.
– Mais dans une minute il sera trop tard ; regardez, regardez donc !
La dame détourna la tête ; l’eau était à cinquante pas à peine.
– Que mon sort s’accomplisse ! dit-elle ; vous, monsieur, fuyez ! fuyez !
Le cheval de Remy, épuisé, butta des deux jambes de devant et ne put se relever, malgré les efforts de son cavalier.
– Sauvez-la ! sauvez-la ! fût-ce malgré elle, s’écria Remy.
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Et en même temps, comme il se dégageait des étriers, l’eau s’écroula comme un gigantesque monument sur la tête du fidèle serviteur.
Sa maîtresse, à cette vue, poussa un cri terrible et s’élança en bas de sa monture, résolue à mourir avec Remy.
Mais Henri, voyant son intention, s’était élancé en même temps qu’elle ; il la saisit en enveloppant sa taille avec son bras droit, et remontant sur son cheval, il partit comme un trait.
– Remy ! Remy ! cria la dame, les bras étendus de son côté, Remy !
Un cri lui répondit. Remy était revenu à la surface de l’eau, et, avec cet espoir indomptable, bien qu’insensé, qui accompagne le mourant jusqu’au bout de son agonie, il nageait, soutenu par une poutre.
À côté, de lui passa son cheval, battant l’eau désespérément avec ses pieds de devant, tandis que le flot gagnait le cheval de sa maîtresse, et que, devant le flot, à vingt pas tout au plus, Henri et sa compagne ne couraient pas, mais volaient sur le troisième cheval, fou de terreur.
Remy ne regrettait plus la vie, puisqu’il espérait, en mourant, que celle qu’il aimait uniquement serait sauvée.
– Adieu, madame, adieu ! cria-t-il, je pars le premier, et je vais dire à celui qui nous attend que vous vivez pour…
Remy n’acheva point ; une montagne d’eau passa sur sa tête et alla s’écrouler jusque sous les pieds du cheval de Henri.