Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 21
Enfin la proue de la galère amirale s’engagea au milieu des agrès des deux bâtiments qui formaient le centre du barrage, et, les poussant devant elle, elle fit fléchir par le milieu toute cette digue flexible dont les compartiments tenaient l’un à l’autre par des chaînes, et qui, cédant sans se rompre, prit, en s’appliquant aux flancs des vaisseaux français la même forme que ses vaisseaux offraient eux-mêmes.
Tout à coup, et au moment où les porteurs de haches recevaient l’ordre de descendre pour rompre le barrage, une foule de grappins, jetés par des mains invisibles, vinrent se cramponner aux agrès des vaisseaux français.
Les Flamands prévenaient la manœuvre des Français et faisaient ce qu’ils allaient faire.
Joyeuse crut que ses ennemis lui offraient un combat acharné. Il l’accepta. Les grappins lancés de son côté lièrent par des nœuds de fer les bâtiments ennemis aux siens. Puis,
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saisissant une hache aux mains d’un matelot, il s’élança le premier sur celui des bâtiments qu’il retenait d’une plus sûre étreinte, en criant : À l’abordage ! à l’abordage !
Tout son équipage le suivit, officiers et matelots, en poussant le même cri que lui ; mais aucun cri ne répondit au sien, aucune force ne s’opposa à son agression.
Seulement on vit trois barques chargées d’hommes glissant silencieusement sur le fleuve, comme trois oiseaux de mer attardés.
Ces barques fuyaient à force de rames, les oiseaux s’éloignaient à tire d’ailes.
Les assaillants restaient immobiles sur ces bâtiments qu’ils venaient de conquérir sans lutte.
Il en était de même sur toute la ligne.
Tout à coup, Joyeuse entendit sous ses pieds un grondement sourd, et une odeur de souffre se répandit dans l’air. Un éclair traversa son esprit ; il courut à une écoutille qu’il souleva : les entrailles du bâtiment brûlaient.
À l’instant, le cri : Aux vaisseaux ! aux vaisseaux ! retentit sur toute la ligne.
Chacun remonta plus précipitamment qu’il n’était descendu ; Joyeuse, descendu le premier, remonta le dernier.
Au moment où il atteignait la muraille de sa galère, la flamme faisait éclater le pont du bâtiment qu’il quittait.
Alors, comme de vingt volcans, s’élancèrent des flammes, chaque barque, chaque sloop, chaque bâtiment était un cratère ; la flotte française, d’un port plus considérable, semblait dominer un abîme de feu.
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L’ordre avait été donné de trancher les cordages, de rompre les chaînes, de briser les grappins ; les matelots s’étaient élancés dans les agrès avec la rapidité d’hommes convaincus que de cette rapidité dépendait leur salut.