Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 156




– Eh bien ! dit Joyeuse, vous partez avec beaucoup d’empressement, Henri ?


– Mais oui, mon frère.


– Parce que vous voulez bien vite revenir ?

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– C’est vrai.


– Vous ne comptez donc séjourner que quelque temps à Château-Thierry ?


– Le moins possible.


– Pourquoi cela ?


– Où l’on s’amuse, mon frère, là n’est point ma place.


– C’est justement, au contraire, Henri, parce que monseigneur le duc d’Anjou doit donner des fêtes à la cour, que vous devriez rester à Château-Thierry.


– Cela m’est impossible, mon frère.


– À cause de vos désirs de retraite, de vos projets d’austérité ?


– Oui, mon frère.


– Vous êtes allé au roi demander une dispense ?


– Qui vous a dit cela ?


– Je le sais.


– C’est vrai, j’y suis allé.


– Vous ne l’obtiendrez pas.


– Pourquoi cela, mon frère ?


– Parce que le roi n’a pas intérêt à se priver d’un serviteur tel que vous.


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– Mon frère le cardinal fera alors ce que Sa Majesté ne voudra pas faire.


– Pour une femme, tout cela !


– Anne, je vous en supplie, n’insistez pas davantage.


– Ah ! soyez tranquille, je ne recommencerai pas ; mais, une fois, allons au but. Vous partez pour Château-Thierry ; en bien ! au lieu de revenir aussi précipitamment que vous le voudriez, je désire que vous m’attendiez dans mon appartement ; il y a longtemps que nous n’avons vécu ensemble ; j’ai besoin, comprenez cela, de me retrouver avec vous.


– Mon frère, vous allez à Château-Thierry pour vous amuser, vous. Mon frère, si je reste à Château-Thierry, j’empoisonnerai tous vos plaisirs.


– Oh ! que non pas ! je résiste, moi, et suis d’un heureux tempérament, fort propre à battre en brèche vos mélancolies.


– Mon frère…


– Permettez, comte, dit l’amiral avec une impérieuse insistance, je représente ici notre père, et vous enjoints de m’attendre à Château-Thierry ; vous y trouverez mon appartement qui sera le vôtre. Il donne, au rez-de-chaussée, sur le parc.


– Si vous ordonnez, mon frère… dit Henri avec résignation.


– Appelez cela du nom qu’il vous plaira, comte, désir ou ordre, mais attendez-moi.


– J’obéirai, mon frère.


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– Et je suis persuadé que vous ne m’en voudrez pas, ajouta Joyeuse en pressant le jeune homme dans ses bras.


Celui-ci se déroba un peu aigrement peut-être à l’accolade fraternelle, demanda ses chevaux et partit immédiatement pour Château-Thierry.


Il courait avec la colère d’un homme contrarié, c’est-à-dire qu’il dévorait l’espace.


Le soir même il gravissait, avant la nuit, la colline sur laquelle Château-Thierry est assis, avec la Marne à ses pieds.