Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 150
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pour penser à lui, et se glissa entre les arbres, évitant d’être vu ni par du Bouchage ni par aucun autre.
Henri ne prit pas garde à cette entrée mystérieuse ; ce ne fut qu’en se retournant qu’il vit l’homme entrer dans les appartements.
Après dix minutes d’attente, il allait y entrer à son tour et questionner un valet de pied pour savoir à quelle heure précisément son frère serait visible, quand un domestique, qui paraissait le chercher, l’aperçut, vint à lui et le pria de vouloir bien passer dans la salle des livres, où le cardinal l’attendait.
Henri se rendit lentement à cette invitation, car il devinait une nouvelle lutte : il trouva son frère le cardinal qu’un valet de chambre accommodait dans un habit de prélat, un peu mondain peut-être, mais élégant et surtout commode.
– Bonjour, comte, dit le cardinal ; quelles nouvelles, mon frère ?
– Excellentes nouvelles quant à notre famille, dit Henri ; Anne, vous le savez, s’est couvert de gloire dans cette retraite d’Anvers, et il vit.
– Et, Dieu merci ! vous aussi vous êtes sain et sauf, Henri ?
– Oui, mon frère.
– Vous voyez, dit le cardinal, que Dieu a ses desseins sur nous.
– Mon frère, je suis tellement reconnaissant à Dieu, que j’ai formé le projet de me consacrer à son service ; je viens donc vous parler sérieusement de ce projet, qui me parait mûr, et dont je vous ai déjà dit quelques mots.
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– Vous pensez toujours à cela, du Bouchage ? fit le cardinal en laissant échapper une légère exclamation, qui indiquait que Joyeuse allait avoir un combat à livrer.
– Toujours, mon frère.
– Mais c’est impossible, Henri, reprit le cardinal ; ne vous l’a-t-on pas déjà dit ?
– Je n’ai pas écouté ce que l’on m’a dit, mon frère, parce qu’une voix plus forte, qui parle en moi, m’empêche d’entendre toute parole qui me détournerait de Dieu.
– Vous n’êtes pas assez ignorant des choses du monde, mon frère, dit le cardinal du ton le plus sérieux, pour croire que cette voix soit véritablement celle du Seigneur ; au contraire, et je l’affirmerais, c’est un sentiment tout mondain qui vous parle.
Dieu n’a rien à voir dans cette affaire, n’abusez donc pas de son saint nom, et surtout ne confondez pas la voix du ciel avec celle de la terre.
– Je ne confonds pas, mon frère, je veux dire seulement que quelque chose d’irrésistible m’entraîne vers la retraite et la solitude.
– À la bonne heure, Henri, et nous rentrons dans les termes vrais. Eh bien ! mon cher, voici ce qu’il faut faire ; je m’en vais, prenant acte de vos paroles, vous rendre le plus heureux des hommes.