Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 139
Chicot, qui jusque-là avait été préoccupé de cette phrase de la lettre du duc de Guise :
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« J’approuve entièrement votre plan à l’égard des Quarante-Cinq, » abandonna donc cette phrase dont il se promit de reprendre plus tard l’examen, pour couler à fond, séance tenante, la préoccupation nouvelle qui venait de prendre la place de l’ancienne préoccupation.
Chicot réfléchit qu’il était on ne peut plus étrange de voir Ernauton s’installer en maître dans cette maison mystérieuse dont les habitants avaient ainsi disparu tout à coup.
D’autant plus, qu’à ces habitants primitifs pouvait bien se rattacher pour Chicot une phrase de la lettre du duc de Guise relative au duc d’Anjou.
C’était là un hasard digne de remarque, et Chicot avait pour habitude de croire aux hasards providentiels.
Il développait même à cet égard, lorsqu’on l’en sollicitait, des théories fort ingénieuses.
La base de ces théories était une idée qui, à notre avis, en valait bien une autre.
– Cette idée, la voici.
Le hasard est la réserve de Dieu.
Le Tout-Puissant ne fait donner sa réserve qu’en des circonstances graves, surtout depuis qu’il a vu les hommes assez sagaces pour étudier et prévoir les chances d’après la nature et les éléments régulièrement organisés.
Or, Dieu aime ou doit aimer à déjouer les combinaisons de ces orgueilleux, dont il a déjà puni l’orgueil passé en les noyant, et dont il doit punir l’orgueil à venir en les brûlant.
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Dieu donc, disons-nous, ou plutôt disait Chicot, Dieu aime à déjouer les combinaisons de ces orgueilleux avec les éléments qui leur sont inconnus, et dont ils ne peuvent prévoir l’intervention.
Cette théorie, comme on le voit, renferme de spécieux arguments, et peut fournir de brillantes thèses ; mais sans doute le lecteur, pressé comme Chicot de savoir ce que venait faire Carmainges dans cette maison, nous saura gré d’en arrêter le développement.
Donc Chicot réfléchit qu’il était étrange de voir Ernauton dans cette maison où il avait vu Remy.
Il réfléchit que cela était étrange par deux raisons : la première, à cause de là parfaite ignorance où les deux hommes vivaient l’un de l’autre, ce qui faisait supposer qu’il devait y avoir eu entre eux un intermédiaire inconnu à Chicot.
La seconde, que la maison avait dû être vendue à Ernauton, qui n’avait pas d’argent pour l’acheter.
– Il est vrai, se dit Chicot en s’installant le plus commodément qu’il put sur sa gouttière, son observatoire ordinaire, il est vrai que le jeune homme prétend qu’une visite va lui venir, et que cette visite est celle d’une femme ; aujourd’hui, les femmes sont riches, et se permettent des fantaisies. Ernauton est beau, jeune et élégant : Ernauton a plus, on lui a donné rendez-vous, on lui a dit d’acheter cette maison ; il a acheté la maison, et accepté le rendez-vous.