Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 124




Et comme il s’en allait à reculons, il rencontra Borromée qui remontait de la cave avec ses bouteilles.


– Tu as entendu ? lui dit celui-ci ; dans dix minutes, pas une âme dans l’établissement.


Bonhomet fit de sa tête, si dédaigneuse à l’ordinaire, un signe d’obéissance et se retira dans sa cuisine, afin d’y rêver aux moyens d’obéir à la double injonction de ses deux redoutables clients.


Borromée rentra dans le réduit, et trouva Chicot qui l’attendait, la jambe en avant et le sourire sur les lèvres.


Nous ignorons comment maître Bonhomet s’y était pris ; mais, la dixième minute écoulée, le dernier écolier franchissait le seuil de sa porte, donnant le bras au dernier clerc, et disant :


– Oh ! oh ! le temps est à l’orage chez maître Bonhomet ; décampons, ou gare la grêle.


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LXXXII

Ce qui arriva dans le réduit de maîtreBonhomet


Lorsque le capitaine rentra dans le réduit avec un panier de douze bouteilles à la main, Chicot le reçut d’un air tellement ouvert et souriant, que Borromée fut tenté de prendre Chicot pour un niais.


Borromée avait hâte de déboucher les bouteilles qu’il était allé chercher à la cave ; mais ce n’était rien, en comparaison de la hâte de Chicot.


Aussi les préparatifs ne furent-ils pas longs. Les deux compagnons, en buveurs expérimentés, demandèrent quelques salaisons, dans le but louable de ne pas laisser éteindre la soif.

Ces salaisons leur furent apportées par Bonhomet, auquel chacun d’eux jeta un dernier coup d’œil.


Bonhomet répondit à chacun d’eux ; mais si quelqu’un eût pu juger ces deux coups d’œil, il eût trouvé une grande différence entre celui qui était adressé à Borromée et celui qui était adressé à Chicot.


Bonhomet sortit et les deux compagnons commencèrent à boire.


D’abord, comme si l’occupation était trop importante pour que rien dût l’interrompre, les deux buveurs avalèrent bon nombre de rasades sans échanger une seule parole.


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Chicot surtout était merveilleux ; sans avoir dit autre chose que :


– Par ma foi, voilà du joli bourgogne !


Et :


– Sur mon âme, voilà d’excellent jambon !


Il avait avalé deux bouteilles, c’est-à-dire une bouteille par phrase.


– Pardieu ! murmurait à part lui Borromée, voilà une singulière chance que j’ai eue de tomber sur un pareil ivrogne.


À la troisième bouteille, Chicot leva les yeux au ciel.


– En vérité, dit-il, nous buvons d’un train à nous enivrer.


– Bon ! ce saucisson est si salé ! dit Borromée.