Les Quarante-cinq. Tome I | страница 98
– Eh bien, moi, dit-il, j’ai plus de troupes que toi.
– Des troupes ? tu as des troupes ?
– Tiens ! pourquoi pas ?
– Et quelles troupes ?
– Tu vas voir. J’ai d’abord toute l’armée que MM. de Guise se font en Lorraine.
– Es-tu fou ?
– Non pas, une vraie armée, six mille hommes au moins.
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– Mais à quel propos, voyons, toi qui as si peur de M. de Mayenne, irais-tu te faire défendre précisément par les soldats de M. de Guise ?
– Parce que je suis mort.
– Encore cette plaisanterie !
– Or, c’était à Chicot que M. de Mayenne en voulait. J’ai donc profité de cette mort pour changer de corps, de nom et de position sociale.
– Alors tu n’es plus Chicot ? dit le roi.
– Non.
– Qu’es-tu donc ?
– Je suis Robert Briquet, ancien négociant et ligueur.
– Toi, ligueur, Chicot ?
– Enragé ; ce qui fait, vois-tu, qu’à la condition de ne pas voir de trop près M. de Mayenne, j’ai pour ma défense personnelle, à moi Briquet, membre de la sainte Union, d’abord l’armée des Lorrains, ci, six mille hommes ; retiens bien les chiffres.
– J’y suis.
– Ensuite cent mille Parisiens à peu près.
– Fameux soldats !
– Assez fameux pour te gêner fort, mon prince. Donc, cent mille et six mille, cent six mille ; ensuite le parlement, le pape, les Espagnols, M. le cardinal de Bourbon, les Flamands, Henri de Navarre, le duc d’Anjou.
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– Commences-tu à épuiser la liste ? dit Henri impatienté.
– Allons donc ! il me reste encore trois sortes de gens.
– Dis.
– Lesquels t’en veulent beaucoup.
– Dis.
– Les catholiques d’abord.
– Ah ! oui, parce que je n’ai exterminé qu’aux trois quarts les huguenots.
– Puis les huguenots, parce que tu les as aux trois quarts exterminés.
– Ah ! oui ; et les troisièmes ?
– Que dis-tu des politiques, Henri ?
– Ah ! oui, ceux qui ne veulent ni de moi, ni de mon frère, ni de M. de Guise.
– Mais qui veulent bien de ton beau-frère de Navarre.
– Pourvu qu’il abjure.
– Belle affaire ! et comme la chose l’embarrasse, n’est-ce pas ?
– Ah ça ! mais les gens dont tu me parles là…
– Eh bien ?
– C’est toute la France.
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– Justement : voilà mes troupes, à moi, qui suis ligueur.
Allons, allons ! additionne et compare.
– Nous plaisantons, n’est-ce pas, Chicot ? dit Henri, sentant certains frissonnements courir dans ses veines.
– Avec cela que c’est l’heure de plaisanter, quand tu es seul contre tout le monde, mon pauvre Henriquet !
Henri prit un air de dignité tout à fait royal.
– Seul je suis, dit-il ; mais seul aussi je commande. Tu me fais voir une armée, très bien. Maintenant montre-moi un chef.