Les Quarante-cinq. Tome I | страница 96




Et Henri, s’abandonnant tout entier à la terreur imaginaire qui venait de le saisir, se rejeta dans son lit, prêt à se couvrir la tête avec ses draps.


– Là, là, là, dit Chicot avec un accent qui cachait quelque pitié et beaucoup de sympathie, là, ne t’échauffe pas, tu n’as qu’à me toucher pour te convaincre.


– Tu n’es donc pas un messager de vengeance ?


– Ventre de biche ! est-ce que j’ai des cornes comme Satan ou une épée flamboyante comme l’archange Michel ?


– Alors, comment es-tu entré ?


– Tu y reviens ?


– Sans doute.


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– Eh bien, comprends donc que j’ai toujours ma clef, celle que tu me donnas et que je me pendis au cou pour faire enrager les gentilshommes de ta chambre, qui n’avaient que le droit de se la pendre au derrière ; eh bien ! avec cette clef on entre, et je suis entré.


– Par la porte secrète, alors ?


– Eh ! sans doute.


– Mais pourquoi es-tu entré aujourd’hui plutôt qu’hier ?


– Ah ! c’est vrai, voilà la question ; eh bien ! tu vas le savoir.


Henri abaissa ses draps, et avec le même accent de naïveté qu’eut pris un enfant :


– Ne me dis rien de désagréable, Chicot, reprit-il, je t’en prie ; oh ! si tu savais quel plaisir me fait éprouver ta voix !


– Moi, je te dirai la vérité, voilà tout : tant pis si la vérité est désagréable.


– Ce n’est pas sérieux, n’est-ce pas, dit le roi, ta crainte de M. de Mayenne ?


– C’est très sérieux, au contraire. Tu comprends : M. de Mayenne m’a fait donner cinquante coups de bâton, j’ai pris ma belle et lui ai donné cent coups de fourreau d’épée : suppose que deux coups de fourreau d’épée valent un coup de bâton, et nous sommes manche à manche ; gare la belle ! suppose qu’un coup de fourreau d’épée vaille un coup de bâton, ce peut être l’avis de M. de Mayenne ; alors il me redoit cinquante coups de bâton ou de fourreau d’épée : or, je ne crains rien tant que les débiteurs de ce genre, et je ne fusse pas même venu ici, quelque besoin que tu eusses de moi, si je n’eusses pas su M. de Mayenne à Soissons.


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– Eh bien ! Chicot, cela étant, puisque c’est pour moi que tu es revenu, je te prends sous ma protection, et je veux…


– Que veux-tu ? prends garde, Henriquet, toutes les fois que tu prononces les mots : je veux, tu es prêt à dire quelque sottise.


– Je veux que tu ressuscites, que tu sortes en plein jour.


– Là ! je le disais bien.


– Je te défendrai.


– Bon.


– Chicot, je t’engage ma parole royale.


– Bast ! j’ai mieux que cela.