Les Quarante-cinq. Tome I | страница 95
– Chicot, mon seul ami !
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– Au moins tu as cet avantage sur moi, de dire toujours la même chose. Tu n’es pas changé, peste !
– Mais toi, toi, dit tristement le roi, es-tu changé, Chicot ?
– Je l’espère bien.
– Chicot, mon ami, dit le roi en posant ses deux pieds sur le parquet, pourquoi m’as-tu quitté, dis ?
– Parce que je suis mort.
– Mais tu disais tout à l’heure que tu ne l’étais pas ?
– Et je le répète.
– Que veut dire cette contradiction ?
– Cette contradiction veut dire, Henri, que je suis mort pour les uns et vivant pour les autres.
– Et pour moi, qu’es-tu ?
– Pour toi je suis mort.
– Pourquoi mort pour moi ?
– C’est facile à comprendre : écoute bien.
– Oui.
– Tu n’es pas maître chez toi.
– Comment !
– Tu ne peux rien pour ceux qui te servent.
– Mons Chicot !
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– Ne nous fâchons pas, ou je me fâche.
– Oui, tu as raison, dit le roi tremblant que l’ombre de Chicot ne s’évanouît ; parle, mon ami, parle.
– Eh bien donc, j’avais une petite affaire à vider avec M. de Mayenne, tu te le rappelles ?
– Parfaitement.
– Je la vide : bien ; je rosse ce capitaine sans pareil ; très bien ; il me fait chercher pour me pendre, et toi, sur qui je comptais pour me défendre contre ce héros, tu m’abandonnes ; au lieu de l’achever, tu te raccommodes avec lui. Qu’ai-je fait alors ? je me suis déclaré mort et enterré par l’intermédiaire de mon ami Gorenflot ; de sorte que depuis ce temps M. de Mayenne, qui me cherchait, ne me cherche plus.
– Affreux courage que tu as eu là, Chicot ! ne savais-tu pas la douleur que me causerait ta mort, dis ?
– Oui, c’est courageux, mais ce n’est pas affreux du tout. Je n’ai jamais vécu si tranquille que depuis que tout le monde est persuadé que je ne vis plus.
– Chicot ! Chicot ! mon ami, s’écria le roi, tu m’épouvantes, ma tête se perd.
– Ah bah ! c’est d’aujourd’hui que tu t’aperçois de cela, toi ?
Je ne sais que croire.
– Dame ! il faut pourtant t’arrêter à quelque chose : que crois-tu, voyons ?
– Eh bien ! je crois que tu es mort et que tu reviens.
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– Alors je mens : tu es poli.
– Tu me caches une partie de la vérité, du moins ; mais tout à l’heure, comme les spectres de l’antiquité, tu vas me dire des choses terribles.
– Ah ! quant à cela, je ne dis pas non. Apprête-toi donc, pauvre roi !
– Oui, oui, continua Henri, avoue que tu es une ombre suscitée par le Seigneur.
– J’avouerai tout ce que tu voudras.
– Sans cela, enfin, comment serais-tu venu ici par ces corridors gardés ? comment te trouverais-tu là, dans ma chambre, près de moi ? Le premier venu entre donc au Louvre, maintenant ? c’est donc comme cela qu’on garde le roi ?