Les Quarante-cinq. Tome I | страница 52
– Vraiment ! voyez donc comme c’est heureux !
– Et sans que cela fasse esclandre au dehors ?
– Quelquefois, le dimanche, nous avons ici quatre-vingts soldats.
– Et pas de foule devant la maison, pas d’espion parmi les voisins ?
– Oh ! mon Dieu, non ; nous n’avons pour voisin qu’un digne bourgeois qui ne se mêle des affaires de personne, et pour voisine qu’une dame qui vit si retirée que depuis trois semaines qu’elle habite le quartier, je ne l’ai pas encore vue ; tous les autres sont de petites gens.
– Voilà qui me convient à merveille.
– Oh ! tant mieux, fit madame Fournichon.
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– Et d’ici en un mois, continua le capitaine, retenez bien ceci, madame, d’ici en un mois…
– Le 26 octobre alors ?
– Précisément, le 26 octobre.
– Eh bien ?
– Eh bien, le 26 octobre, je loue votre hôtellerie.
– Tout entière ?
– Tout entière. Je veux faire une surprise à quelques compatriotes, officiers, ou tout au moins gens d’épée pour la plupart, qui viennent à Paris chercher fortune ; d’ici là ils auront reçu avis de descendre chez vous.
– Et comment auront-ils reçu cet avis, si c’est une surprise que vous leur faites ? demanda imprudemment madame Fournichon.
– Ah ! répondit le capitaine, visiblement contrarié par la question ; ah ! si vous êtes curieuse ou indiscrète, parfandious !…
– Non, non, monsieur, se hâta de dire madame Fournichon effrayée.
Fournichon avait entendu ; aux mots : officiers ou gens d’épée, son cœur avait battu d’aise.
Il accourut.
– Monsieur, s’écria-t-il, vous serez le maître ici, le despote de la maison, et sans questions, mon Dieu ! Tous vos amis seront les bienvenus.
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– Je n’ai pas dit mes amis, mon brave, dit le capitaine avec hauteur ; j’ai dit mes compatriotes.
– Oui, oui, les compatriotes de Sa Seigneurie ; c’est moi que me trompais.
Dame Fournichon tourna le dos avec humeur : les roses d’amour venaient de se changer en buissons de hallebardes.
– Vous leur donnerez à souper, continua le capitaine.
– Très bien.
– Vous les ferez même coucher au besoin, si je n’avais pu encore préparer leurs logements.
– À merveille.
– En un mot, vous vous mettrez à leur entière discrétion, sans le moindre interrogatoire.
– C’est dit.
– Voilà trente livres d’arrhes.
– C’est marché fait, monseigneur ; vos compatriotes seront traités en rois, et si vous voulez vous en assurer en goûtant le vin…
– Je ne bois jamais ; merci.
Le capitaine s’approcha de la fenêtre et appela le gardien des chevaux.