Les Quarante-cinq. Tome I | страница 42
– Oh ! oh ! qu’est donc celle-là ? fit Joyeuse en essayant de reprendre sa gaîté quelque peu altérée, malgré lui, par la confidence de son frère. Prends garde, Henri, tu divagues, ce n’est donc pas une femme de chair et d’os, celle-là ?
– Mon frère, dit le jeune homme en enfermant la main de Joyeuse dans une fiévreuse étreinte, mon frère, dit-il si bas que son souffle arrivait à peine à l’oreille de son aîné, aussi vrai que Dieu m’entend, je ne sais pas si c’est une créature de ce monde.
– Par le pape ! dit-il, tu me ferais peur, si un Joyeuse pouvait jamais avoir peur.
Puis, essayant de reprendre sa gaîté :
– Mais enfin, dit-il, toujours est-il qu’elle marche, qu’elle pleure et qu’elle donne très bien des baisers ; toi-même me l’as dit, et c’est, ce me semble, d’un assez bon augure cela, cher ami.
Mais ce n’est pas tout : voyons, après, après ?
– Après, il y a peu de chose. Je la suivis donc, elle n’essaya point de se dérober à moi, de changer de chemin, de faire fausse route ; elle ne semblait même point songer à cela.
– Eh bien ! où demeurait-elle ?
– Du côté de la Bastille, dans la rue de Lesdiguières ; à sa porte, son compagnon se retourna et me vit.
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– Tu lui fis alors quelque signe pour lui donner à entendre que tu désirais lui parler ?
– Je n’osai pas ; c’est ridicule ce que je vais te dire, mais le serviteur m’imposait presque autant que la maîtresse.
– N’importe, tu entras dans la maison ?
– Non, mon frère.
– En vérité, Henri, j’ai bien envie de te renier pour un Joyeuse ; mais au moins tu revins le lendemain ?
– Oui, mais inutilement, inutilement à la Gypecienne, inutilement à la rue de Lesdiguières.
– Elle avait disparu ?
– Comme une ombre qui se serait envolée.
– Mais enfin tu t’informas ?
– La rue a peu d’habitants, nul ne put me satisfaire ; je guettais l’homme pour le questionner, il ne reparut pas plus que la femme ; cependant une lumière, que je voyais briller le soir à travers les jalousies, me consolait en m’indiquant qu’elle était toujours là. J’usai de cent moyens pour pénétrer dans la maison : lettres, messages, fleurs, présents, tout échoua. Un soir la lumière disparut à son tour et ne reparut plus ; la dame, fatiguée de mes poursuites sans doute, avait quitté la rue de Lesdiguières ; nul ne savait sa nouvelle demeure.
– Cependant tu l’as retrouvée, cette belle sauvage ?
– Le hasard l’a permis ; je suis injuste, mon frère, c’est la Providence qui ne veut pas que l’on traîne la vie. Écoutez : en vérité, c’est étrange. Je passais dans la rue de Bussy, il y a quinze jours, à minuit ; vous savez, mon frère, que les