Les Quarante-cinq. Tome I | страница 37
– Vous avez raison, dit Henri, dont les yeux étincelèrent un instant, mon cousin de Guise est mieux servi que moi.
– Chut ! chut ! mon fils, dit Catherine, pas d’éclat, on se moquerait de nous ; car cette fois encore c’est partie perdue.
– Joyeuse a bien fait d’aller s’amuser autre part, dit le roi ; on ne peut plus compter sur rien en ce monde, même sur les supplices. Partons, mesdames, partons !
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VI
Les deux Joyeuse
Messieurs de Joyeuse, comme nous l’avons vu, s’étaient dérobés pendant toute cette scène par les derrières de l’Hôtel-de-Ville, et laissant aux équipages du roi leurs laquais qui les attendaient avec des chevaux, ils marchaient côte à côte dans les rues de ce quartier populeux, qui ce jour-là étaient désertes, tant la place de Grève avait été vorace de spectateurs.
Une fois dehors ils avaient marché se tenant par le bras, mais sans s’adresser la parole.
Henri, si joyeux naguère, était préoccupé et presque sombre.
Anne semblait inquiet et comme embarrassé de ce silence de son frère.
Ce fut lui qui rompit le premier le silence.
– Eh bien ! Henri, demanda-t-il, où me conduis-tu ?
– Je ne vous conduis pas, mon frère, je marche devant moi, répondit Henri comme s’il se réveillait en sursaut.
– Désirez-vous aller quelque part, mon frère ?
– Et toi ?
Henri sourit tristement.
– Oh ! moi, dit-il, peu m’importe où je vais.
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– Tu vas cependant quelque part chaque soir, dit Anne, car chaque soir tu sors à la même heure pour ne rentrer qu’assez avant dans la nuit, et parfois pour ne pas rentrer du tout.
– Me questionnez-vous, mon frère ? demanda Henri avec une charmante douceur mêlée d’un certain respect pour son aîné.
– Moi te questionner ? dit Anne, Dieu m’en préserve ; les secrets sont à ceux qui les gardent.
– Quand vous le désirerez, mon frère, répliqua Henri, je n’aurai pas de secrets pour vous ; vous le savez bien.
– Tu n’auras pas de secrets pour moi, Henri ?
– Jamais, mon frère ; n’êtes-vous pas à la fois mon seigneur et mon ami ?
– Dame ! je pensais que tu en avais avec moi, qui ne suis qu’un pauvre laïque ; je pensais que tu avais notre savant frère, ce pilier de la théologie, ce flambeau de la religion, ce docte architecte de cas de conscience de la cour, qui sera cardinal un jour, que tu te confiais à lui, et que tu trouvais en lui à la fois confession, absolution, et qui sait ?… et conseil ; car, dans notre famille, ajouta Anne en riant, on est bon à tout, tu le sais : témoin notre très cher père.