Les Quarante-cinq. Tome I | страница 27
– C’est que, madame, dit la reine, Dieu ne m’ayant point, comme à vous, donné la force, je n’ai pas grand cœur à voir souffrir.
– Eh bien ! vous ne regarderez point, ma fille.
Louise se tut.
Le roi n’avait rien entendu ; il était tout yeux, car on s’occupait d’enlever le patient de la charrette qui l’avait apporté, pour le déposer sur le petit échafaud.
Pendant ce temps, les hallebardiers, les archers et les Suisses avaient fait élargir considérablement l’espace, en sorte
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que, tout autour de l’échafaud, il régnait un vide assez grand pour que tous les regards distinguassent Salcède, malgré le peu d’élévation de son piédestal funèbre.
Salcède pouvait avoir trente-quatre à trente-cinq ans : il était fort et vigoureux ; les traits pâles de son visage, sur lequel perlaient quelques gouttes de sueur et de sang, s’animaient quand il regardait autour de lui d’une indéfinissable expression, tantôt d’espoir, tantôt d’angoisse.
Il avait tout d’abord jeté les yeux sur la loge royale ; mais comme s’il eût compris qu’au lieu du salut c’était la mort qui lui venait de là, son regard ne s’y était point arrêté.
C’était à la foule qu’il en voulait, c’était dans le sein de cette orageuse mer qu’il fouillait avec ses yeux ardents et avec son âme frémissante au bord de ses lèvres.
La foule se taisait.
Salcède n’était point un assassin vulgaire : Salcède était d’abord de bonne naissance, puisque Catherine de Médicis, qui se connaissait d’autant mieux en généalogie qu’elle paraissait en faire fi, avait découvert une goutte de sang royal dans ses veines ; en outre, Salcède avait été un capitaine de renom. Cette main, liée par une corde honteuse, avait vaillamment porté l’épée ; cette tête livide sur laquelle se peignaient les terreurs de la mort, terreurs que le patient eût renfermées sans doute au plus profond de son âme, si l’espoir n’y avait tenu trop de place, cette tête livide avait abrité de grands desseins.
Il résultait de ce que nous venons de dire que, pour beaucoup de spectateurs, Salcède était un héros ; pour beaucoup d’autres une victime ; quelques-uns le regardaient bien comme un assassin, mais la foule a grand peine d’admettre dans ses mépris, au rang des criminels ordinaires, ceux-là qui ont tenté ces grands assassinats qu’en registré le livre de l’histoire en même temps que celui de la justice.
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Aussi racontait-on dans la foule que Salcède était né d’une race de guerriers, que son père avait combattu rudement M. le cardinal de Lorraine, ce qui lui avait valu une mort glorieuse au milieu du massacre de la Saint-Barthélemy, mais que plus tard le fils, oublieux de cette mort, ou plutôt sacrifiant sa haine à une certaine ambition pour laquelle les populations ont toujours quelque sympathie, que ce fils, disons-nous, avait pactisé avec l’Espagne et avec les Guises pour anéantir, dans les Flandres, la souveraineté naissante du duc d’Anjou, si fort haï des Français.