Les Quarante-cinq. Tome I | страница 26




– Je ne m’en dédis pas, sire, dit Joyeuse, il est affreux.


– Comment voudriez-vous que ce fût beau, un homme dont la pensée est si laide ? Ne vous ai-je point expliqué, Anne, les rapports secrets du physique et du moral, comme Hippocrate et Galenus les comprenaient et les ont expliqués eux-mêmes ?


– Je ne dis pas non, sire ; mais je ne suis pas un élève de votre force, moi, et j’ai vu quelquefois de fort laids hommes être de très braves soldats. N’est-ce pas, Henri ?


Joyeuse se retourna vers son frère, comme pour appeler son approbation à son aide ; mais Henri regardait sans voir, écoutait sans entendre ; il était plongé dans une profonde rêverie ; ce fut donc le roi qui répondit pour lui.


– Eh ! mon Dieu ! mon cher Anne, s’écria-t-il, qui vous dit que celui-là ne soit pas brave ? Il l’est pardieu ! comme un ours, comme un loup, comme un serpent. Ne vous rappelez-vous pas ses façons ? Il a brûlé, dans sa maison, un gentilhomme normand, son ennemi. Il s’est battu dix fois, et a tué trois de ses adversaires ; il a été surpris faisant de la fausse monnaie, et condamné à mort pour ce fait.


– À telles enseignes, dit Catherine de Médicis, qu’il a été gracié par l’intercession de M. le duc de Guise, votre cousin, ma fille.


Cette fois, Louise était à bout de ses forces ; elle se contenta de pousser un soupir.


– Allons, dit Joyeuse, voilà une existence bien remplie, et qui va finir bien vite.


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– J’espère, monsieur de Joyeuse, dit Catherine, qu’elle va, au contraire, finir le plus lentement possible.


– Madame, dit Joyeuse en secouant la tête, je vois là-bas sous cet auvent de si bons chevaux et qui me paraissent si impatients d’être obligés de demeurer là à ne rien faire, que je ne crois pas à une bien longue résistance des muscles, tendons et cartilages de M. de Salcède.


– Oui, si l’on ne prévoyait point le cas ; mais mon fils est miséricordieux, ajouta la reine avec un de ces sourires qui n’appartenaient qu’à elle ; il fera dire aux aides de tirer mollement.


– Cependant, madame, objecta timidement la reine, je vous ai entendu dire ce matin à madame de Mercœur, il me semble cela du moins, que ce malheureux ne subirait que deux tirades.


– Oui-dà, s’il se conduit bien, dit Catherine ; en ce cas, il sera expédié le plus couramment possible ; mais vous entendez, ma fille, et je voudrais, puisque vous vous intéressez à lui, que vous puissiez le lui faire dire : qu’il se conduise bien, cela le regarde.