Les Quarante-cinq. Tome I | страница 17




– On se marie jeune chez nous, vous le savez bien, monsieur de Loignac, vous qui vous êtes marié à dix-huit.


– Bon ! fit Loignac, en voilà encore un qui me connaît.


La femme s’était approchée pendant ce temps, et les enfants, pendus à sa robe, l’avaient suivie.


– Et pourquoi ne serait-il point marié ? demanda-t-elle en se redressant et en écartant de son front hâlé ses cheveux noirs que la poussière du chemin y fixait comme une pâte ; est-ce que

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c’est passé de mode de se marier à Paris ? Oui, monsieur, il est marié, et voici encore deux autres enfants qui l’appellent leur père.


– Oui, mais qui ne sont que les fils de ma femme, monsieur de Loignac, comme aussi ce grand garçon qui tient derrière ; avancez, Militor, et saluez monsieur de Loignac, notre compatriote.


Un garçon de seize à dix-sept ans, vigoureux, agile et ressemblant à un faucon par son œil rond et son nez crochu, s’approcha les deux mains passées dans sa ceinture de buffle ; il était vêtu d’une bonne casaque de laine tricotée, portait sur ses jambes musculeuses un haut-de-chausse en peau de chamois, et une moustache naissante ombrageait sa lèvre à la fois insolente et sensuelle.


– C’est Militor, mon beau-fils, monsieur de Loignac, le fils aîné de ma femme, qui est une Chavantrade, parente des Loignac, Militor de Chavantrade, pour vous servir. Saluez donc, Militor.


Puis se baissant vers l’enfant qui se roulait en criant sur la route :


– Tais-toi, Scipion, tais-toi, petit, ajouta-t-il tout en cherchant sa carte dans toutes ses poches.


Pendant ce temps, Militor, pour obéir à l’injonction de son père, s’inclinait légèrement et sans sortir ses mains de sa ceinture.


– Pour l’amour de Dieu, monsieur, votre carte ! s’écria Loignac, impatienté.


– Venez ça et m’aidez, Lardille, dit à sa femme le Gascon tout rougissant.


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Lardille détacha l’une après l’autre les deux mains cramponnées à sa robe, et fouilla elle-même dans la gibecière et dans les poches de son mari.


– Rien ! dit-elle, il faut que nous l’ayons perdue.


– Alors, je vous fais arrêter, dit Loignac.


Le Gascon devint pâle.


– Je m’appelle Eustache de Miradoux, dit-il, et je me recommanderai de M. de Sainte-Maline, mon parent.


– Ah ! vous êtes parent de Sainte-Maline, dit Loignac un peu radouci. Il est vrai que, si on les écoutait, ils sont parents de tout le monde ! eh bien, cherchez encore, et surtout cherchez fructueusement.


– Voyez, Lardille, voyez dans les hardes de vos enfants, dit Eustache, tremblant de dépit et d’inquiétude.