Les Quarante-cinq. Tome I | страница 140




– Jeudi ou vendredi, la date n’y fait rien.

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– C’est juste, le fait, voilà tout, n’est-ce pas ?


– Eh bien ! jeudi ou vendredi, dans le corridor, j’ai trouvé deux novices qui se battaient au sabre avec deux seconds qui se préparaient de leur côté à en découdre.


– Et qu’as-tu fait ?


– Je me suis fait apporter un fouet pour rosser les novices qui se sont enfuis ; mais Borromée…


– Ah ! ah ! Borromée, encore Borromée.


– Toujours.


– Mais Borromée ?…


– Borromée les a rattrapés et vous les a fustigés de telle façon qu’ils sont encore au lit, les malheureux !


– Je demande à voir leurs épaules pour apprécier la vigueur du bras de frère Borromée, fit Chicot.


– Nous déranger pour voir d’autres épaules que des épaules de mouton, jamais ! Mangez donc de ces pâtes d’abricot.


– Non pas, morbleu ! j’étoufferais.


– Buvez alors.


– Non plus : j’ai à marcher, moi.


– Eh bien ! moi, crois-tu donc que je n’aie point à marcher ? et cependant je bois.


– Oh ! vous, c’est différent ; et puis pour crier les commandements il vous faut des poumons.

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– Alors, un verre, rien qu’un verre de cette liqueur digestive, dont Eusèbe a seul le secret.


– D’accord.


– Elle est si efficace, qu’eut-on dîné de façon gloutonne, on se trouverait nécessairement avoir faim deux heures après son dîner.


– Quelle recette pour les pauvres ! Savez-vous que si j’étais roi, je ferais trancher la tête à Eusèbe ; sa liqueur est capable d’affamer un royaume. Oh ! oh ! qu’est-ce que cela ?


– C’est l’exercice qui commence, dit Gorenflot.


En effet, on venait d’entendre un grand bruit de voix et de ferraille venant de la cour.


– Sans le chef ? dit Chicot. Oh ! oh ! voilà des soldats assez mal disciplinés, ce me semble.


– Sans moi ? jamais ! dit Gorenflot ; d’ailleurs cela ne se peut pas, comprends-tu ? puisque c’est moi qui commande, puisque l’instructeur, c’est moi ; et, tiens, la preuve, c’est que j’entends frère Borromée qui vient prendre mes ordres.


En effet, au moment même, Borromée entrait, lançant à Chicot un regard oblique et prompt comme la flèche traîtresse du Parthe.


– Oh ! oh ! pensa Chicot, tu as eu tort de me lancer ce regard-là ; il t’a trahi.


– Seigneur prieur, dit Borromée, on n’attend plus que vous pour commencer la visite des armes et des cuirasses.


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– Des cuirasses ! oh ! oh ! se dit tout bas Chicot, un instant, j’en suis, j’en suis !


Et il se leva précipitamment.


– Vous assisterez à mes manœuvres, dit Gorenflot en se soulevant à son tour, comme ferait un bloc de marbre qui prendrait des jambes ; votre bras, mon ami ; vous allez voir une belle instruction.