Les Quarante-cinq. Tome I | страница 131
Gorenflot, foudroyé par cette naïve sortie de son hôte, demeura la bouche ouverte et les bras étendus.
– Adieu, monsieur le prieur, continua Chicot.
– Oh ! ne partez pas.
– Mon voyage ne peut se retarder.
– Vous voyagez ?
– J’ai une mission.
– Et de qui ?
– Du roi.
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Gorenflot roulait d’abîmes en abîmes.
– Une mission, dit-il, une mission du roi ! vous l’avez donc revu ?
– Sans doute.
– Et comment vous a-t-il reçu ?
– Avec enthousiasme ; il a de la mémoire, lui, tout roi qu’il est.
– Une mission du roi, balbutia Gorenflot, et moi impudent, moi ignare, moi grossier…
Son cœur se dégonflait à mesure, comme fait un ballon qui perd son vent par des piqûres d’aiguille.
– Adieu, répéta Chicot.
Gorenflot se souleva sur son fauteuil, et, de sa large main, arrêta le fugitif qui, avouons-le, se laissa facilement violenter.
– Voyons, expliquons-nous, dit le prieur.
– Sur quoi ? demanda Chicot.
– Sur votre susceptibilité d’aujourd’hui.
– Moi, je suis aujourd’hui comme toujours.
– Non.
– Simple miroir des gens avec qui je suis.
– Non.
– Vous riez, je ris ; vous boudez, je fais la grimace.
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– Non, non, non !
– Si, si, si !
– Eh bien, voyons, je l’avoue, j’étais préoccupé.
– Vraiment !
– Ne voulez-vous point être indulgent pour un homme en proie aux plus pénibles travaux ? Ai-je ma tête à moi, mon Dieu ! Ce prieuré n’est-il pas comme un gouvernement de province ? Songez donc que je commande à deux cents hommes, que je suis tout à la fois économe, architecte, intendant ; tout cela sans compter mes fonctions spirituelles.
– Oh ! c’est trop, en effet, pour un serviteur indigne de Dieu !
– Oh ! voilà qui est ironique, dit Gorenflot ; monsieur Briquet, auriez-vous perdu votre charité chrétienne ?
– J’en avais donc ?
– Je crois aussi qu’il entre de l’envie dans votre fait : prenez-y garde, l’envie est un péché capital.
– De l’envie dans mon fait ; et que puis-je envier, moi ? je vous le demande.
– Hum ! vous vous dites : le prieur dom Modeste Gorenflot monte progressivement, il est sur la ligne ascendante.
– Tandis que moi, je suis sur la ligne descendante, n’est-ce pas ? répondit ironiquement Chicot.
– C’est la faute de votre fausse position, monsieur Briquet.
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– Monsieur le prieur, souvenez-vous du texte de l’Évangile.
– Quel texte ?
– Celui qui s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé.
– Peuh ! fit Gorenflot.
– Allons, voilà qu’il met en doute les textes saints, l’hérétique ! s’écria Chicot en joignant les deux mains.