Les Quarante-cinq. Tome I | страница 125
– En vérité,
monsieur,
dit l’inconnu avec un
mécontentement visible, vous me gênez fort. Cette confidence serait mieux faite à un ami qu’à un homme que vous ne connaissez pas, que vous ne pouvez connaître.
Tout en disant ces mots, son œil brillant interrogeait la grimace doucereuse de Chicot.
– C’est vrai, répondit celui-ci, je ne vous connais pas ; mais je suis très confiant aux physionomies et je trouve que votre physionomie celle est d’un honnête homme.
– Voyez cependant, monsieur, de quelle responsabilité vous me chargez. Ne se peut-il pas aussi que toute cette musique ennuie ma maîtresse comme elle vous a ennuyé vous-même, et qu’alors nous déménagions ?
– Eh bien, répondit Chicot, alors tout est dit, et ce n’est point à vous que je m’en prendrai, voisin.
– Merci de la confiance que vous témoignez à un pauvre inconnu, dit le serviteur en s’inclinant ; je tâcherai de m’en montrer digne.
Et saluant Chicot, il se retira chez lui.
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Chicot, de son côté, le salua affectueusement ; puis voyant la porte refermée sur lui :
– Pauvre jeune homme ! murmura-t-il, voilà pour cette fois un vrai fantôme ; et cependant je l’ai vu si gai, si vivant, si beau !
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XIX
Le prieuré des jacobins
Le prieuré dont le roi avait fait don à Gorenflot, pour récompenser ses loyaux services et surtout sa brillante faconde, était situé à deux portées de mousquet, à peu près, de l’autre côté de la porte Saint-Antoine.
C’était alors un quartier fort noblement fréquenté, que le quartier de la porte Saint-Antoine, le roi faisant de nombreuses visites au château de Vincennes, que l’on appelait encore à cette époque le bois de Vincennes.
Ça et là sur la route du donjon, quelques petites maisons de grands seigneurs, avec des jardins charmants et des cours magnifiques, faisaient comme un apanage au château, et bon nombre de rendez-vous s’y donnaient, dont, malgré la manie qu’avait alors le moindre bourgeois de s’occuper des affaires de l’État, nous oserons dire que la politique était soigneusement exclue.
Il résultait de ces allées et venues de la cour, que la route, toute proportion gardée, avait alors l’importance qu’ont conquise aujourd’hui les Champs-Élysées.
C’était, on en conviendra, une belle position pour le prieuré qui se levait fièrement, à droite du chemin de Vincennes.
Ce prieuré se composait d’un quadrilatère de bâtiments, enfermant une énorme cour plantée d’arbres, d’un jardin potager situé derrière les bâtiments, et d’une foule de dépendances qui donnaient à ce prieuré l’étendue d’un village.