Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 47




Les courtisans avaient même à ce sujet adopté des variantes de galanterie pour établir cet aphorisme, que les bracelets eussent été sans prix s’ils n’avaient le malheur de se trouver en contact avec des bras pareils à ceux de la reine.


Ce compliment avait eu l’honneur d’être traduit dans toutes les langues de l’Europe, plus de mille distiques latins et français circulaient sur cette matière.


Le jour où Anne d’Autriche se décida pour la loterie, c’était un moment décisif : le roi n’était pas venu depuis deux jours chez sa mère. Madame boudait après la grande scène des dryades et des naïades.


Le roi ne boudait plus ; mais une distraction toute-puissante l’enlevait au dessus des orages et des plaisirs de la Cour.

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Anne d’Autriche opéra sa diversion en annonçant la fameuse loterie chez elle pour le soir suivant.


Elle vit, à cet effet, la jeune reine, à qui, comme nous l’avons dit, elle demanda une visite le matin.


– Ma fille, lui dit-elle, je vous annonce une bonne nouvelle. Le roi m’a dit de vous les choses les plus tendres. Le roi est jeune et facile à détourner ; mais, tant que vous vous tiendrez près de moi, il n’osera s’écarter de vous, à qui, d’ailleurs, il est attaché par une très vive tendresse. Ce soir, il y a loterie chez moi : vous y viendrez ?


– On m’a dit, fit la jeune reine avec une sorte de reproche timide, que Votre Majesté mettait en loterie ses beaux bracelets, qui sont d’une telle rareté, que nous n’eussions pas dû les faire sortir du garde-meuble de la couronne, ne fût-ce que parce qu’ils vous ont appartenu.


– Ma fille, dit alors Anne d’Autriche, qui entrevit toute la pensée de la jeune reine et voulut la consoler de n’avoir pas reçu ce présent, il fallait que j’attirasse chez moi à tout jamais Madame.


– Madame ? fit en rougissant la jeune reine.


– Sans doute ; n’aimez-vous pas mieux avoir chez vous une rivale pour la surveiller et la dominer, que de savoir le roi chez elle, toujours disposé à courtiser comme à l’être ? Cette loterie est l’attrait dont je me sers pour cela : me blâmez-vous ?


– Oh ! non ! fit Marie-Thérèse en frappant dans ses mains avec cet enfantillage de la joie espagnole.


– Et vous ne regrettez plus, ma chère, que je ne vous aie pas donné ces bracelets, comme c’était d’abord mon intention ?


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– Oh ! non, oh ! non, ma bonne mère !…


– Eh bien ! ma chère fille, faites-vous bien belle, et que notre médianoche soit brillant : plus vous y serez gaie, plus vous y paraîtrez charmante, et vous éclipserez toutes les femmes par votre éclat comme par votre rang.