Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 78




Ces paroles produisirent sur le roi une impression singulière.

On eût dit qu'au lieu d'exalter sa passion, elles la refroidissaient. Il ralentit le pas et dit avec précipitation :


– Que voulez-vous, mademoiselle ! tout a échoué.


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– Excepté votre volonté, n'est-ce pas, mon cher Sire ?


– Hélas ! dit le roi rougissant, est-ce que j'ai une volonté, moi !


– Oh ! laissa échapper douloureusement Mlle de Mancini, blessée de ce mot.


– Le roi n'a de volonté que celle que lui dicte la politique, que celle que lui impose la raison d'État.


– Oh ! c'est que vous n'avez pas d'amour ! s'écria Marie ; si vous m'aimiez, Sire, vous auriez une volonté.


En prononçant ces mots, Marie leva les yeux sur son amant, qu'elle vit plus pâle et plus défait qu'un exilé qui va quitter à jamais sa terre natale.


– Accusez-moi, murmura le roi, mais ne me dites point que je ne vous aime pas.


Un long silence suivit ces mots, que le jeune roi avait prononcés avec un sentiment bien vrai et bien profond.


– Je ne puis penser, Sire, continua Marie, tentant un dernier effort, que demain, après-demain, je ne vous verrai plus ; je ne puis penser que j'irai finir mes tristes jours loin de Paris, que les lèvres d'un vieillard, d'un inconnu, toucheraient cette main que vous tenez dans les vôtres ; non, en vérité, je ne puis penser à tout cela, mon cher Sire, sans que mon pauvre cœur éclate de désespoir.


Et, en effet, Marie de Mancini fondit en larmes. De son côté, le roi, attendri, porta son mouchoir à ses lèvres et étouffa un sanglot.


– Voyez, dit-elle, les voitures se sont arrêtées ; ma sœur m'attend, l'heure est suprême : ce que vous allez décider sera décidé pour toute la vie ! Oh ! Sire, vous voulez donc que je vous perde ?

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Vous voulez donc, Louis, que celle à qui vous avez dit : « Je vous aime » appartienne à un autre qu'à son roi, à son maître, à son amant ? Oh ! du courage, Louis ! un mot, un seul mot ! dites : « Je veux ! » et toute ma vie est enchaînée à la vôtre, et tout mon cœur est à vous à jamais.


Le roi ne répondit rien.


Marie alors le regarda comme Didon regarda Énée aux Champs élyséens, farouche et dédaigneuse.


– Adieu, donc, dit-elle, adieu la vie, adieu l'amour, adieu le Ciel !


Et elle fit un pas pour s'éloigner ; le roi la retint, lui saisit la main, qu'il colla sur ses lèvres, et, le désespoir l'emportant sur la résolution qu'il paraissait avoir prise intérieurement, il laissa tomber sur cette belle main une larme brûlante de regret qui fit tressaillir Marie comme si effectivement cette larme l'eût brûlée.