Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 77




L'officier vit que le cheval abandonné errait çà et là et inquiétait Mlle de Mancini. Il profita du prétexte pour se rapprocher en arrêtant le cheval, et, à pied aussi entre les deux montures qu'il maintenait, il ne perdit pas un mot ni un geste des deux amants. Ce fut Mlle de Mancini qui commença.


– Ah ! mon cher Sire, dit elle, vous ne m'abandonnez donc pas, vous ?


– Non, répondit le roi : vous le voyez bien, Marie.


– 137 –


– On me l'avait tant dit, cependant : qu'à peine serions-nous séparés, vous ne penseriez plus à moi !


– Chère Marie, est-ce donc d'aujourd'hui que vous vous apercevez que nous sommes entourés de gens intéressés à nous tromper ?


– Mais enfin, Sire, ce voyage, cette alliance avec l'Espagne ? On vous marie !


Louis baissa la tête.


En même temps l'officier put voir luire au soleil les regards de Marie de Mancini, brillants comme une dague qui jaillit du fourreau.


– Et vous n'avez rien fait pour notre amour ? demanda la jeune fille après un instant de silence.


– Ah ! mademoiselle, comment pouvez-vous croire cela ! Je me suis jeté aux genoux de ma mère ; j'ai prié, j'ai supplié ; j'ai dit que tout mon bonheur était en vous ; j'ai menacé…


– Eh bien ? demanda vivement Marie.


– Eh bien ! la reine mère a écrit en cour de Rome, et on lui a répondu qu'un mariage entre nous n'aurait aucune valeur et serait cassé par le Saint-Père. Enfin, voyant qu'il n'y avait pas d'espoir pour nous, j'ai demandé qu'on retardât au moins mon mariage avec l'infante.


– Ce qui n'empêche point que vous ne soyez en route pour aller au-devant d'elle.


– Que voulez-vous ! à mes prières, à mes supplications, à mes larmes, on a répondu par la raison d'État.

– 138 –


– Eh bien ?


– Eh bien ! que voulez-vous faire, mademoiselle, lorsque tant de volontés se liguent contre moi ?


Ce fut au tour de Marie de baisser la tête.


– Alors, il me faudra vous dire adieu pour toujours, dit-elle.

Vous savez qu'on m'exile, qu'on m'ensevelit ; vous savez qu'on fait plus encore, vous savez qu'on me marie, aussi, moi !


Louis devint pâle et porta une main à son cœur.


– S'il ne se fût agi que de ma vie, moi aussi j'ai été si fort persécutée que j'eusse cédé, mais j'ai cru qu'il s'agissait de la vôtre, mon cher Sire, et j'ai combattu pour conserver votre bien.


– Oh ! oui, mon bien, mon trésor ! murmura le roi, plus galamment que passionnément peut-être.


– Le cardinal eût cédé, dit Marie, si vous vous fussiez adressé à lui, si vous eussiez insisté. Le cardinal appeler le roi de France son neveu ! comprenez-vous, Sire ! Il eût tout fait pour cela, même la guerre ; le cardinal, assuré de gouverner seul, sous le double prétexte qu'il avait élevé le roi et qu'il lui avait donné sa nièce, le cardinal eût combattu toutes les volontés, renversé tous les obstacles. Oh ! Sire, Sire, je vous en réponds. Moi, je suis une femme et je vois clair dans tout ce qui est amour.