Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 69
– Assez, monsieur ! dit Louis XIV en se levant. Que vous me refusiez un million, vous en avez le droit : vos millions sont à vous ; que vous me refusiez deux cents gentilshommes, vous en avez le droit encore, car vous êtes Premier ministre, et vous avez, aux yeux de la France, la responsabilité de la paix et de la guerre ; mais que vous prétendiez m'empêcher, moi le roi, de donner l'hospitalité au petit-fils de Henri IV, à mon cousin germain, au compagnon de mon enfance ! là s'arrête votre pouvoir, là commence ma volonté.
– Sire, dit Mazarin, enchanté d'en être quitte à si bon marché, et qui n'avait d'ailleurs si chaudement combattu que pour en arriver là ; Sire, je me courberai toujours devant la volonté de mon roi ; que mon roi garde donc près de lui ou dans un de ses châteaux le roi d'Angleterre, que Mazarin le sache, mais que le ministre ne le sache pas.
– Bonne nuit, monsieur, dit Louis XIV, je m'en vais désespéré.
– Mais convaincu, c'est tout ce qu'il me faut, Sire, répliqua Mazarin.
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Le roi ne répondit pas, et se retira tout pensif, convaincu, non pas de tout ce que lui avait dit Mazarin, mais d'une chose au contraire qu'il s'était bien gardé de lui dire, c'était de la nécessité d'étudier sérieusement ses affaires et celles de l'Europe, car il les voyait difficiles et obscures.
Louis retrouva le roi d'Angleterre assis à la même place où il l'avait laissé.
En l'apercevant, le prince anglais se leva ; mais du premier coup d'œil il vit le découragement écrit en lettres sombres sur le front de son cousin.
Alors, prenant la parole le premier, comme pour faciliter à Louis l'aveu pénible qu'il avait à lui faire :
– Quoi qu'il en soit, dit-il, je n'oublierai jamais toute la bonté, toute l'amitié dont vous avez fait preuve à mon égard.
– Hélas ! répliqua sourdement Louis XIV, bonne volonté stérile, mon frère !
Charles II devint extrêmement pâle, passa une main froide sur son front, et lutta quelques instants contre un éblouissement qui le fit chanceler.
– Je comprends, dit-il enfin, plus d'espoir !
Louis saisit la main de Charles II.
– Attendez, mon frère, dit-il, ne précipitez rien, tout peut changer ; ce sont les résolutions extrêmes qui ruinent les causes ; ajoutez, je vous en supplie, une année d'épreuve encore aux années que vous avez déjà subies. Il n'y a, pour vous décider à agir en ce moment plutôt qu'en un autre, ni occasion ni opportunité ; venez avec moi, mon frère, je vous donnerai une de mes résidences, celle