Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 66
Un Français, c'est la nation ; un uniforme, c'est l'armée. Supposez, par exemple, Sire, que vous avez la guerre avec la Hollande, ce qui tôt ou tard arrivera certainement, ou avec l'Espagne, ce qui arrivera peut-être si votre mariage manque (Mazarin regarda profondément le roi), et il y a mille causes qui peuvent faire manquer votre mariage ; eh bien ! approuveriez-vous l'Angleterre d'envoyer aux Provinces-Unies ou à l'infante un régiment, une compagnie, une escouade même de gentilshommes anglais ? Trouveriez-vous qu'elle se renferme honnêtement dans les limites de son traité d'alliance ?
Louis écoutait ; il lui semblait étrange que Mazarin invoquât la bonne foi, lui l'auteur de tant de supercheries politiques qu'on appelait des mazarinades.
– Mais enfin, dit le roi, sans autorisation manifeste, je ne puis empêcher des gentilshommes de mon État de passer en Angleterre si tel est leur bon plaisir.
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– Vous devez les contraindre à revenir, Sire, ou tout au moins protester contre leur présence en ennemis dans un pays allié.
– Mais enfin, voyons, vous, monsieur le cardinal, vous un génie si profond, cherchons un moyen d'aider ce pauvre roi sans nous compromettre.
– Et voilà justement ce que je ne veux pas, mon cher Sire, dit Mazarin. L'Angleterre agirait d'après mes désirs qu'elle n'agirait pas mieux ; je dirigerais d'ici la politique d'Angleterre que je ne la dirigerais pas autrement.
« Gouvernée ainsi qu'on la gouverne, l'Angleterre est pour l'Europe un nid éternel à procès. La Hollande protège Charles II : laissez faire la Hollande ; ils se fâcheront, ils se battront ; ce sont les deux seules puissances maritimes
; laissez-les détruire leurs
marines l'une par l'autre ; nous construirons la nôtre avec les débris de leurs vaisseaux, et encore quand nous aurons de l'argent pour acheter des clous.
– Oh ! que tout ce que vous me dites là est pauvre et mesquin, monsieur le cardinal !
– Oui, mais comme c'est vrai, Sire, avouez-le. Il y a plus : j'admets un moment la possibilité de manquer à votre parole et d'éluder le traité ; cela se voit souvent, qu'on manque à sa parole et qu'on élude un traité, mais c'est quand on a quelque grand intérêt à le faire ou quand on se trouve par trop gêné par le contrat ; eh bien !
vous autoriseriez l'engagement qu'on vous demande ; la France, sa bannière, ce qui est la même chose, passera le détroit et combattra ; la France sera vaincue.
– Pourquoi cela ?