Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 52




– Vous êtes l'officier de service, lieutenant des mousquetaires ?


– J'ai cet honneur, répondit l'officier.


– Monsieur, il faut absolument que je parle au roi.


Le lieutenant regarda attentivement l'inconnu, et dans ce regard, si rapide qu'il fût, il vit tout ce qu'il voulait voir, c'est-à-dire une profonde distinction sous un habit ordinaire.


– Je ne suppose pas que vous soyez un fou, répliqua-t-il, et cependant vous me semblez de condition à savoir, monsieur, qu'on n'entre pas ainsi chez un roi sans qu'il y consente.

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– Il y consentira, monsieur.


– Monsieur, permettez-moi d'en douter ; le roi rentre il y a un quart d'heure, il doit être en ce moment en train de se dévêtir.

D’ailleurs, la consigne est donnée.


– Quand il saura qui je suis, répondit l'inconnu en redressant la tête, il lèvera la consigne.


L'officier était de plus en plus surpris, de plus en plus subjugué.


– Si je consentais à vous annoncer, puis-je au moins savoir qui j'annoncerais, monsieur ?


– Vous annonceriez Sa Majesté Charles II, roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande.


L'officier poussa un cri d'étonnement, recula, et l'on put voir sur son visage pâle une des plus poignantes émotions que jamais homme d'énergie ait essayé de refouler au fond de son cœur.


– Oh ! oui, Sire : en effet, j'aurais dû vous reconnaître.


– Vous avez vu mon portrait ?


– Non, Sire.


– Ou vous m'avez vu moi-même autrefois à la cour, avant qu'on me chassât de France ?


– Non Sire, ce n'est point encore cela.


– Comment m'eussiez-vous reconnu alors, si vous ne connaissiez ni mon portrait ni ma personne ?

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– Sire, j'ai vu Sa Majesté le roi votre père dans un moment terrible.


– Le jour…


– Oui.


Un sombre nuage passa sur le front du prince ; puis, l'écartant de la main :


– Voyez-vous encore quelque difficulté à m'annoncer ? dit-il.


– Sire, pardonnez-moi, répondit l'officier, mais je ne pouvais deviner un roi sous cet extérieur si simple ; et pourtant, j'avais l'honneur de le dire tout à l'heure à Votre Majesté, j'ai vu le roi Charles Ier… Mais, pardon, je cours prévenir le roi.


Puis, revenant sur ses pas :


– Votre Majesté désire sans doute le secret pour cette entrevue ? demanda-t-il.


– Je ne l'exige pas, mais si c'est possible de le garder…


– C'est possible, Sire, car je puis me dispenser de prévenir le premier gentilhomme de service ; mais il faut pour cela que Votre Majesté consente à me remettre son épée.


– C'est vrai. J'oubliais que nul ne pénètre armé chez le roi de France.